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lui-même ne se faisait pas faute de s’en servir comme d’un, commissionnaire, lorsqu’il avait des demandes de secours à porter et dans bien d’autres cas. Bref, ce Ckocklik n’avait pas d’initiative propre, il était heureux de rendre service et ne pouvait agir que sous l’impulsion d’autrui.

Akoulina parfois s’attendrissait sur lui et lui reprochait sa timidité en disant :

— Que tu es bête, mon pauvre Ckocklik !… Tu te laisses mener par le bout du nez… Fais-donc comme les autres…

— Nous sommes de petites gens, Akoulina Mirevna, nous allons à petit pas, lui répondait Ckocklik tout troublé en tirant timidement les manches de son patelot.

Nos amis ne se privaient pas d’exploiter à leur tour la clientèle du cabaret et c’étaient jour de fête lorsque le grand monde de Propadinsk venait se griser à « Plevna » jusqu’à pouvoir y retourner ses poches, bien garnies à l’entrée. Lorsque les parents inquiets venaient chercher les absents pour les emmener, ils éclataient en injures qu’ils adressaient à Vanka Caïn en le menaçant de la police.

Le cabaretier, en secouant avec un certain chic ses longs cheveux pommadés, prenait un air doucereux et poli en leur disant :

— Que voulez-vous ? Je ne les force pas à boire !… Et quant à vos menaces, permettez-moi de ne pas en tenir compte parce que j’ai ma patente… Vous pouvez porter votre plainte si cela vous plaît.

Vanka Caïn était homme de tact : il avait surtout le sentiment des mesures, le génie de la pénétration : il traitait les gens suivant leur valeur et à cette subtilité de sens se rattachait encore une bonhomie tout à fait russe. Certes, Vanka était une parfaite canaille dans son commerce. Mais, dans son intérieur, c’était un tout autre homme : il avait plutôt l’air d’un père de famille. Il passait pour être humain aux yeux des vagabonds qu’il hébergeait et qui le servaient dans son ménage et soignaient son cheval. Bachka lui-même ne se sentait pas froissé de sarcler son jardin potager.

— Crois-tu donc, Ivan Vassilievitch, lui disait Kornilytch, attendri par l’alcool, que j’irais passer mon temps dans un autre cabaret que le tien ?… Ah, non !… non, mon vieux !… J’ai quand même le sentiment de ma dignité… Crois-moi, si je