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l’atavisme hérités de l’animalité antérieure, on peut dire d’une manière générale que l’état, sinon universel, du moins normal fut celui de la cueillette, comprise dans son sens le plus vaste, c’est-à-dire l’utilisation de tout ce que le chercheur famélique trouvait à sa convenance. La faim rend omnivore : l’individu perdu dans la forêt se laisse aller à prendre pour aliments toute espèce de vermine et de débris ; il mangera de l’herbe et des vers, il goûtera avec plus ou moins de répugnance ou d’avidité aux baies, aux champignons, en risquant même de s’empoisonner. Et ce que l’individu se trouve obligé de faire, même de nos jours, des tribus entières, même des nations, ont dû le pratiquer également, soit d’une manière permanente, avant l’aménagement de la terre à leurs besoins, soit pour une saison ou durant toute une période de famine[1].

Or, durant ce premier état de la cueillette, l’homme dut chercher surtout, en même temps que les petits animaux faciles à saisir, les grains, les fruits, les bulbes et les racines, faisait ainsi connaissance avec les premiers éléments qui devaient l’aider un jour à découvrir l’agriculture. Il voyait les semences germer en plantes nouvelles, il cueillait les rejetons qui naissaient à la base d’une tige vieille, et tel tubercule qu’il trouvait dans le sol avait déjà dressé sa plumule et soulevé la terre au-dessous d’elle[2]. L’agriculture était, pour ainsi dire, en état de préfloraison dans son esprit : il ne lui manquait pour agir que la patience, la longue prévision, l’alliance avec le temps.

L’état nomade, que l’on place d’ordinaire à une étape de civilisation antérieure dans le temps à l’agriculture, semble au contraire demander une préparation plus longue. L’exemple du Nouveau Monde dans toute son étendue, de l’archipel Arctique aux îles qui pointent vers l’Antarctique, témoigne d’une manière éclatante que l’agriculture n’eut pas besoin pour naître de succéder à l’état pastoral, puisqu’elle était pratiquée par des peuplades ou nations vivant en diverses parties du double continent, tandis que nulle part on n’y rencontrait de bergers nomades. Les Incas, il est vrai, possédaient un animal domestique, le llama, mais il l’employaient uniquement pour le transport des marchandises, et la masse de la nation n’en restait pas moins strictement sédentaire et agricole : nul ne pouvait quitter son champ sans un ordre des maîtres. En Amérique,

  1. Link, Urwelt und Alterthum.
  2. Ed. Hahn, Demeter und Baubo, p. 5.