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honnête simplicité : « Cet oiseau est libre, » disent-ils, « tu ne l’as pas nourri, tu ne l’as pas élevé, donc tu n’as pas le droit de le manger. » Une comète, une aurore boréale, etc., sont encore pour le moujick des pronostics de malheur…

Toute anomalie de la nature a fourni à l’esprit observateur du paysan russe le prétexte d’une légende. Ainsi ayant remarqué que, seul parmi les oiseaux, le moineau ne marche pas, mais saute, les moujicks le considèrent comme un oiseau maudit par Dieu, parce que, dans leur croyance, il guidait par son cri les Juifs à la recherche du Christ nouveau-né. L’hirondelle est au contraire regardée comme un oiseau sacré pour avoir dépisté ces mêmes Juifs par son vol. Pour rien au monde un moujick ne voudrait manger de la chair de moineau[1]. Une autre légende nous dit que le rénovateur du monde, Jésus, est né dans une étable entre un cheval et un bœuf. En mangeant, le cheval éparpillait un peu de son foin de tous côtés tandis que le bœuf le ramassait pour le mettre dans le berceau de l’enfant afin de le cacher. Dieu punit le cheval en lui infligeant une faim insatiable. Le paysan russe a pour la chair du cheval la même aversion que pour celle du moineau[2].

Un grand nombre de légendes païennes se sont modifiées sous l’influence du Christianisme. On sait que la sole a un côté fermé et ne possède qu’un œil. Une légende païenne expliquait ainsi la bizarre apparence de ce poisson en racontant qu’un jour Urta Izarevna de la mer Baltique, après en avoir mangé une moitié avait rejeté l’autre dans la mer. Nous retrouvons cette même légende en Russie avec de légères variantes. On raconte par exemple que lorsque l’ange Gabriel vint annoncer à Marie qu’elle devait donner naissance à un enfant qui serait le rédempteur du monde, il dut pour convaincre Marie qui paraissait douter de la véracité de sa prédiction, accomplir un miracle en rendant la vie a une sole dont on avait mangé la moitié[3].

Les marins russes expliquent d’une façon fort drôle les taches noires qui se trouvent sur les bronchées de la morue. Cela tient, suivant une tradition, à ce qu’un jour Saint-Pierre aurait pris ce poisson avec deux doigts seulement et en aurait retiré une pièce de monnaie pour payer les impôts ![4]

  1. Cette légende est notée par Makssimoff.
  2. Notée dans le gouvernement de Kharkove.
  3. Le Fils de Patrie, 1839, no 10 pp. 144-145.
  4. Le Messager de Moscou, 1888, no 87.