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LES ILLUSIONS DU SOCIALISME

Qu’on ne suppose pas que je veuille parler des illusions du socialisme avec l’intention de les épargner à qui que ce soit. Supprimez de l’activité humaine la partie qui consiste, dans la poursuite des illusions, vous supprimez la plus grande force du monde. Qu’on ne suppose pas non plus que la poursuite des illusions soit une poursuite vaine : au contraire, il ne peut pas plus exister d’illusion sans réalité que d’ombre sans objet. Seulement la plupart des hommes sont ainsi faits que la réalité les repousse, tandis que les illusions les attirent. Pour ne prendre que l’exemple sur lequel Schopenhauer a tant insisté : les jeunes gens et les jeunes filles ne sont pas attirés l’un vers l’autre par ce qu’ils sont en réalité. Le jeune homme n’épousera pas la jeune fille avant qu’il ne soit persuadé que c’est un ange, en compagnie duquel la vie sera une extase ; et elle ne l’épousera pas non plus si elle ne croit que c’est un héros. Sous le charme de cette illusion, ils se marient aussi vite que possible ; mais il ne s’ensuit pas toujours qu’ils se repentent à loisir. Si cela était ainsi, leurs amis mariés les préviendraient contre le mariage au lieu de le leur conseiller ; et les veufs et les veuves ne se remarieraient jamais, comme ils le font quand ils en ont la chance. Le couple finit par se connaître tel qu’il est en réalité, cela est vrai ; mais si cette union est heureuse, la désillusion consiste dans la découverte encourageante qu’une femme vraie, avec ses défauts, vaut une douzaine d’anges, tout comme un homme vrai, avec ses folies, vaut tous les héros imaginables. La conséquence, c’est que ces deux dupes d’une illusion ridicule, au lieu de se croire trompés et malheureux, ont plus qu’ils ne croyaient avoir et créent à leur tour de nouvelles générations pour le monde, et voilà pourquoi ils permettent à leurs propres fils et filles de poursuivre la même illusion quand l’occasion s’en présente.

Si donc, je dis crûment que le socialisme, tel que se le figurent quatre-vingt-dix-neuf sur cent des jeunes socialistes qui liront ces pages, est une illusion, je ne veux pas dire par là qu’il n’y ait pas de réalité derrière cette illusion, ni que la réalité ne soit beaucoup meilleure que l’illusion. Seulement je dis, et j’insiste là-dessus, que si l’avenir socialiste était présenté dans sa réalité, à ceux qui consacrent à « la cause », toute l’énergie qui leur reste après une journée de travail, et tout l’enthousiasme dont ils sont capables, beaucoup d’entre eux trouveraient que cette « cause » n’en vaut pas la peine, et ils la dénigreraient et la