Page:L'Humanité nouvelle, année 4, tome 2, volume 7.djvu/136

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ainsi, pour qu’il puisse les saisir. Une théorie logique, avec ses suppositions de cause et d’effet, de temps et d’espace, etc., n’est précisément rien d’autre qu’une « prise intellectuelle ». Sans théorie, les faits naturels peuvent être utilisés, mais ils ne peuvent être, expliqués. Les hommes construisent des moulins à vent et des moulins à eau, grâce auxquels ils peuvent broyer le grain, bien avant de se soucier de la science des vents et des courants. Quand ils le font, ils doivent attendre jusqu’à ce qu’un « charpentier intellectuel » leur en bâtisse une théorie. Chacun peut alors « comprendre le sujet » pourvu que la théorie soit suffisamment simple. Quand j’étais enfant, on me donna cette « prise » pour saisir et comprendre l’univers :

 
« Dieu créa l’homme, et l’homme créa l’argent.
« Dieu créa les abeilles, et les abeilles créèrent le miel,
« Dieu créa Satan et Satan créa le péché ;
« Et Dieu fit un trou pour mettre Satan dedans. »


C’était là une « prise » assez grossière, mais depuis des siècles elle a aidé, comme elle aide encore des masses d’hommes à coordonner dans leur cerveau les faits cosmiques de telle façon qu’ils puissent les rendre maniables par la pensée. Sa validité absolue et évidente et sa suffisance semblaient autrefois aussi simples et aussi certaines à des hommes très intelligents que l’est la validité de la gravitation ou de l’évolution pour les hommes très intelligents d’à présent ; il n’y a pas le moindre doute que la gravitation et l’évolution ne paraissent un jour aussi primitives et aussi enfantines que le quatrain cité plus haut ait pu paraître à Darwin. Nous avons maintenant devant nous les conditions auxquelles la science peut être adoptée par la masse du peuple, arrivé à son degré actuel de développement. Si on ne peut la lui inculquer de force, comme on inculque la table de multiplication aux enfants, ou l’obtenir moyennant une somme d’argent, comme le brevet de géographie mathématique d’un capitaine de vaisseau, elle, doit prendre la forme d’un drame soit artistique, soit religieux, pour éveiller la sympathie et fixer l’attention populaires. Et quand la curiosité intellectuelle suit la sympathie et l’intérêt, le drame doit être suivi également par la théorie, de manière que le peuple puisse penser aussi bien que sentir.

On admettra certainement que le socialisme, s’il veut attirer sérieusement l’attention de nos jours, doit se présenter comme science politique et non comme dogme sentimental. J’admets qu’il est fondé sur un dogme sentimental, et qu’il ne signifie même rien et est inutile sans celui-ci. Mais tels sont également tous les systèmes politiques démocratiques modernes. La constitution américaine affirme avec beaucoup d’exactitude que tout homme a naturellement droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur. Désormais les systèmes politiques démocratiques doivent toujours partir de l’affirmation absolument dogmatique, déraisonnable, injustifiable, inexplicable, en un mot « naturelle », de la part de tout citoyen, de vivre, d’agir et de s’exprimer comme il lui plaît, et d’employer ses capacités à se rendre heureux à sa manière. Les moralistes ont prouvé à différentes reprises que la vie,