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artistiques, scientifiques, industrielles, commerciales, qui ne manqueront pas de vous seconder.

J’éprouve d’ailleurs un plaisir tout particulier chaque fois qu’il m’est donné de revenir dans votre ville. Elle est si pleine d’enseignements pour ceux qui ont le culte des choses belles ou rares ! J’y ai consacré de si douces heures à dessiner quelques-uns de vos admirables chefs-d’œuvre : quels charmes j’ai ressentis devant ces portes de l’église Saint-Maclou ! comme je me suis senti ému à l’heure matinale d’un printemps ensoleillé, devant cette tour de Jeanne d’Arc qui ne subsiste encore que grâce aux précurseurs de l’œuvre d’aujourd’hui, hommes énergiques qui par souscription publique la rachetèrent de mains oublieuses de nos plus glorieuses traditions nationales.

C’était bien à Rouen qu’il convenait d’être une des premières à réagir contre le flot montant des utilitaires quand même. Grâce à votre société, vous avez donné ici un nom et une organisation au courant du contre-vandalisme. Vous concentrez à l’avance tous les savoirs, toutes les forces, toutes les volontés. Ainsi les lutteurs pour la cause des arts ne seront plus isolés. Ils disposeront, pour les seconder, de moyens chaque jour plus puissants.

Oui, sans doute, il faut qu’on fasse place au soleil, et qu’on donne à Rouen des poumons là où il éprouve de la peine à respirer. Mais les villes ont une âme, qui est leur passé, et leur beauté matérielle n’atteint tout son éclat que quand on y conserve les traces visibles de cette beauté qui se compose de souvenirs : c’est commettre le crime de parricide que d’y porter atteinte. Le patriotisme est fait de souvenirs et d’espérances : conservons les uns pour garder les autres.

L’un des plus illustres de la glorieuse phalange des Mérimée, des Vitet, des de Caumont, n’a-t-il pas apporté d’ailleurs des arguments concluants propres à gagner votre cause devant la société moderne, s’il est vrai qu’elle soit si positive que veulent le faire croire quelques esprits dépourvus d’idéal. Dans sa Guerre aux démolisseurs, Victor Hugo n’a-t-il pas dit de nos vieux monuments : « Ce sont des capitaux. Beaucoup d’entre eux, dont la renommée attire les étrangers riches en France, rapportent au pays bien au delà de l’intérêt de l’argent qu’ils ont coûté. Les détruire, c’est priver le pays d’un revenu ? »

Aussi combien ont été chaudement applaudies les énergiques paroles prononcées par M. Le Breton au soir d’une laborieuse journée consacrée l’an dernier par le Congrès des Architectes à l’admiration des monuments de Rouen ! Les voyageurs émerveillés étaient bien préparés par une telle visite à comprendre la portée d’une manifestation nationale contre les brutalistes, les banalistes. Les conversations s’étaient si souvent aiguisées dans la journée des regrets qu’inspirait l’absence des belles choses qu’on avait connues jadis !

M. Paul Wallon, secrétaire général du Congrès, rappela alors la réunion que nous avions organisée aux Arènes de Lutèce et que présida M. Duruy. Là, deux cents présidents, secrétaires et délégués de sociétés départementales au Congrès de la Sorbonne de 1885 chargèrent le Comité des Amis des Monuments parisiens de seconder de son mieux les initiatives locales pour arracher aux utilitaires quand même tout ce passé dont nous devons être fiers et que nous avons le devoir de léguer aux générations futures.

M. Le Breton nous quitta en promettant de se mettre à l’œuvre. Mais j’ai hâte de rendre à M. Despois de Folleville la part qui lui revient dans l’existence de la Société des Amis des Monuments rouennais. Dès le mois de mai il m’entretenait du projet aujourd’hui réalisé. Tous les obstacles ont été aplanis grâce à son énergique volonté, grâce aussi au concours que lui ont prêté, avec M. Le Breton, MM. Dubosc, Fauquet, Hédou, ses collaborateurs de la première heure. Permettez-moi d’associer aussi dans la même pensée toutes les personnes qui, par leur présence à cette réunion, se sont acquis l’honneur d’être les tout premiers adhérents d’une œuvre que leur esprit de propagande ne peut manquer de rendre puissante.

Quelle tâche fut jamais plus méritoire ? Vous sauvez à votre vide des trésors inestimables ; vous voulez que les rues, les places, la ville entière, en devenant un musée