Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/30

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langue telle que le français, le mot chien exclut toute association spéciale à un type déterminé et désigne d’une manière abstraite une espèce animale.

Il apparaît ainsi que le principe essentiel du changement de sens est dans l’existence de groupements sociaux à l’intérieur du milieu où une langue est parlée, c’est-à-dire dans un fait de structure sociale. Il serait assurément chimérique de prétendre expliquer dès maintenant toutes les transformations de sens par ce principe : un grand nombre de faits résisteraient et ne se laisseraient interpréter qu’à l’aide de suppositions arbitraires et souvent forcées ; l’histoire des mots n’est pas assez faite pour qu’on puisse, sur aucun domaine, tenter d’épuiser tous les cas et démontrer qu’ils se ramènent sans aucun reste au principe invoqué, ce qui serait le seul procédé de preuve théoriquement possible ; le plus souvent même ce n’est que par hypothèse qu’on peut tracer la courbe qu’a suivie le sens d’un mot en se transformant. Mais, s’il est vrai qu’un changement de sens ne puisse pas avoir lieu sans être provoqué par une action définie — et c’est le postulat nécessaire de toute théorie solide en sémantique —, le principe invoqué ici est le seul principe connu et imaginable dont l’intervention soit assez puissante pour rendre compte de la plupart des faits observés ; et d’autre part l’hypothèse se vérifie là où les circonstances permettent de suivre les faits de près.

Quelques exemples montreront comment se font les changements de sens et quelle est l’application du principe.

Soit le mot latin nidus « nid » ; l’étymologie indo-européenne en est transparence ; c’est le résultat de la combinaison d’un préverbe ni— qui marque mouvement de haut en bas et d’un nom radical zdo— appartenant à la racine du verbe latin sedere. « être établi, être assis » ; ces deux éléments sont de date indo-européenne ; le mot a eu anciennement un sens très vaste, encore conservé dans les langues indo-européennes orientales : en sanskrit et en arménien ; ainsi l’arménien nist signifie « lieu où on est établi, résidence, séant » ; mais dans les langues plus occidentales, depuis le slave jusqu’au celtique et au latin, le mot a été limité à un emploi tout particulier — connu même du sanskrit, mais ignoré de l’arménien — celui de lieu où est établi un oiseau « nid » ; les conditions linguistiques du fait sont bien connues : le préverbe ni— a cessé