Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/8

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qu’on ne saurait expliquer les faits uniquement à l’aide de considérations physiologiques et psychologiques ; les procédés par lesquels se réalisent les faits de langue sont devenus en partie plus clairs, mais les causes qui les déterminent sont toujours également obscures ; on voit mieux comment les langues se développent ; mais on continue d’ignorer quelles actions déterminent les innovations et les conservations dont l’ensemble constitue l’histoire du langage. Et il n’y a là rien que de naturel ; si le milieu dans lequel évolue le langage est un milieu social, si l’objet du langage est de permettre les relations sociales, si le langage n’est maintenu et conservé que par ces relations, si enfin les limites des langues coïncident avec celles des groupes sociaux, il est évident que les causes dont dépendent les faits linguistiques doivent être de nature sociale, et que seule, la considération des faits sociaux permettra de substituer en linguistique à l’examen des faits bruts la détermination des procès, c’est-à-dire à l’examen des choses, l’examen des actions, à la pure constatation de rapports entre phénomènes complexes, l’analyse de faits relativement simples considérés chacun dans leur développement particulier.

Une fois le problème ainsi posé, on s’aperçoit immédiatement que des faits qui semblent identiques tant que l’on se place au point de vue purement linguistique, sont en réalité hétérogènes. Par exemple le passage du groupe français (écrit oi, suivant une graphie ancienne qui avait déjà cessé d’être exacte au xiiie siècle) à ua dans des cas tels que moi, roi, boire, etc., est à Paris le résultat d’un procès phonétique spontané, et qui a dû se réaliser d’une manière indépendante et nécessaire en chacun des sujets qui y ont appris à parler à une certaine date ; ailleurs cette même substitution s’est réalisée par imitation de la langue parisienne et est un fait d’emprunt ; elle peut alors parvenir à la même extension qu’à Paris ; mais le phénomène est d’ordre différent ; le linguiste pur sera sujet à confondre les deux types de faits, et il est même inévitable qu’il lui arrive de les confondre là où il n’est pas renseigné sur la façon dont le résultat identique a été obtenu sur les deux domaines considérés, — mais, s’il essaie de déterminer les causes, il ne le pourra qu’en séparant rigoureusement les deux procès, et que là où il a le moyen de les isoler : car, d’un côté, il est en présence du type des innovations phonétiques spontanées dont le