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L’ENVERS DE LA GUERRE

— Deux femmes causent dans la rue. Elles parlent de Guillaume II : « Il faut le faire mourir. — De faim. — Oui, mais pas tout de suite. À petit feu. »

— Distribution de cigarettes aux blessés à l’hôpital. Des cultivateurs, des ouvriers, très peu de bourgeois. Ils gardent dans leur porte-monnaie, sous leur traversin, la balle qui les a frappés.

— Un renouveau catholique se manifeste dans les hôpitaux, dans les journaux.

— On a caché les morts provoquées à Paris par les balles françaises tirées sur les avions et qui retombent à la vitesse même du départ.

Mme Ménard-Dorian dit qu’elle a vu des trains de blessés, sans infirmiers, où les hommes, dans l’impossibilité de satisfaire leurs besoins naturels, disaient qu’ils auraient préféré la mort dans la bataille.

— Il semble qu’il y ait une insensibilisation générale : charniers, ruines, tueries, ne sont plus que des mots qui n’entrent pas dans le cœur.

— Beaucoup de femmes — pas toutes — ont cessé de se peindre et de se teindre.

— Les Bônois réclament la faveur d’emprisonner chez eux le kronprinz. D’autres veulent l’envoyer à l’Île du Diable, où fut Dreyfus.

— Une mère dit : « Je ne voudrais pour rien au monde que mes deux fils fussent à l’abri. » Ainsi la foi patriotique l’emporte sur l’amour maternel. Quelle est la part du respect humain ?

— On a mis dans un train des turcos blessés et des Allemands blessés. Il paraît qu’à l’escale, les turcos avaient décapité les Allemands.

— Bonté, humanité, tout cela est aboli. Un garçon cultivé écrit « qu’il rêve d’en descendre ». Plus on a tué, plus on est couvert d’honneur et de gloire.