Page:L'envers de la Guerre - Tome 1 - 1914-1916.djvu/46

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— Dilemme : une femme est violée par les Allemands. Elle est enceinte. L’enfant est à demi-français. Doit-on la faire avorter ? Doit-elle l’élever ?

— Dans le milieu du Conseil d’État, la consigne est de jouer au bridge, pour « s’empêcher de penser ».

— Il en est donc des nations comme des femmes ? Il faut qu’elles voient périodiquement leur sang ?

— Painlevé, président de la Commission des Inventions, se plaint de n’être pas autorisé à aller à Reims. L’État-Major a horreur du Parlement.

— Un directeur de journal, à déjeuner. Il donne le vertige. D’après lui, ce sont les Anglais qui ont fait tuer le prince héritier d’Autriche, le pape, le pape noir, Jaurès.

— Les articles militaires écrits par de vieux officiers sont d’un comique sinistre. Il y en a un (22 novembre) qui nous conseille de ne pas reprendre Lille parce que la typhoïde y règne chez les Allemands.

— Les lettres publiées disent : « J’en ai tué dix ! J’en ai tué vingt ! » Et on ne publie rien de généreux, de tendre, de joli, d’humain. Seule, la férocité est exaltée, étalée.

Mme Greffulhe oublie chez le préfet de Bordeaux un modèle de pantalon de soldat destiné à faire housse sur la culotte rouge. Le préfet est en conférence avec son personnel quand un huissier vient lui dire : « La comtesse Greffulhe réclame son pantalon qu’elle a oublié chez M. le Préfet. »

— Doumergue à déjeuner. Il a une érudition abondante et savoureuse, qui fait oublier sa banalité extérieure et les histoires plus ou moins véridiques de son passé de petit robin colonial.

— Un officier se plaint devant moi que la poste fonctionne trop bien, car les lettres amollissent les hommes.