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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/101

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LES RAGIONAMENTI

fait ma toilette, je restai toute la journée la tête lourde de la mauvaise nuit que j’avais passée.

Antonia. — Le Pédagogue fut-il mis à la porte ?

Nanna. — Comment ? à la porte ? Au bout de huit jours je l’aperçus vêtu comme un prince…

Antonia. — Il est sûr que lorsqu’on voit un tel, un domestique, un intendant, un valet de chambre dépasser toute mesure dans ses vêtements, ses dépenses, le jeu, c’est qu’il mange de la patronne.

Nanna. — Pas de doute à cela. Venons-en à une autre qui se rongeait de l’envie de se faire mettre le fuseau dans la quenouille par un métayer que l’on disait avoir une cheville digne d’un taureau ou d’un mulet. C’était la femme d’un vieux chevalier de l’Éperon d’Or, à qui l’ordre avait été conféré par le pape Jean, et qui faisait son puant avec sa Chevalerie, plus que le Mainoldo, de Mantoue ; prenant toujours le haut du pavé, il se pavanait et se prélassait à faire crever de rire, et à tout propos ne manquait pas de dire : « Nous autres Chevaliers !… » Quand il se montrait, les jours de fêtes solennelles, dans ses beaux habits, il emplissait toute une église, rien qu’à marcher à pas comptés. Il ne parlait jamais que du Grand Turc, du Soudan, et il savait les nouvelles du monde entier. Or la femme de cet ennuyeux personnage grommelait à tout ce qui venait de leurs domaines. Si c’étaient des poulets : N’en avons-nous pas d’autres ? disait-elle ; nous sommes volés. » Si on lui apportait des fruits : « La belle espèce ! les mûrs, on nous les mange ; les verts, on les réserve pour nous. » Des salades, une nichée de petits oiseaux, un bouquet de fraises ou autres friandises lui étaient-ils présentés : « Nous sommes frais disait-elle ; je ne veux rien de tout cela, c’est sur le grain, sur le vin, sur l’huile, qu’il nous faudra le payer. » Elle en fit tant, avec ses plaintes continuelles, qu’elle finit par éveiller les soupçons du mari ; il changea de fermier, et, sur les conseils de sa femme, prit celui qui avait de quoi ramoner les plus grandes cheminées. Le bail fut passé entre eux, et le fermier prit possession du domaine. Quelques jours après, il vint à