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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/112

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

poussa en avant un second qui, avec la nonchalance d’un moine allant à la soupe, courut manger de la vache, comme disent ceux qui parlent le romanesque[1], puis fit signe à un troisième qui se jeta sur elle comme un goujon sur l’asticot ; ce qui fit rire, c’est que, lâchant le brochet dans le réservoir, il déchargea trois coups de tonnerre, sans éclairs, et lui en fit venir la sueur aux tempes ; elle s’écria : « Ces trente-et-un n’ont pas la moindre discrétion ! » Pour ne pas te retenir jusqu’à la nuit avec les gestes de l’un ou de l’autre, ils le lui firent de toutes les façons, par tous les bouts, à toutes modes, manières et fantaisies, pour parler comme la pétrarquiste Madrema non vuole[2] ; au vingtième elle se mit à faire comme les chattes, qui jouissent et miaulent en même temps. Là-dessus, en voilà un qui lui ayant tâté le sifflet et la cornemuse et les trouvant de vrais gîtes à colimaçons sans coquilles, resta un peu en suspens ; enfin, il le lui mit par derrière, mais ne touchant les bords ni par-ci ni par-là : « Madonna, s’écria-t-il, mouchez-vous le nez et puis flairez-moi le câprier. » Pendant qu’il parlait ainsi, les autres se tenaient, la conscience en érection, à écouter le prêche, guettant d’aborder la bonne amie quand le camarade s’en irait, tout comme artisans, gamins, villageois, le Jeudi, le Vendredi et le Samedi Saints, guettent s’en aller le pénitent auquel le moine vient de donner l’absolution, la confession achevée ; et durant l’attente il y en eut plus d’un qui se secoua le chien de haut en bas jusqu’à lui faire cracher l’âme. Enfin, quatre de ceux qui étaient restés les derniers, plus fous que sages, ne se sentant pas le cœur d’aller nager sans calebasse dans cette mer d’huile de fève, allumèrent un bout de torche dont on se servait pour éclairer ceux des joueurs qui, après

  1. L’italien comme on le parle à Rome et dans la Romagne.
  2. Ma mère ne veut pas, surnom d’une courtisane romaine fort à la mode en ce temps-là. D’après ce qu’on en dit dans le Zoppino, son luxe était insolent, elle était très instruite, sachant par cœur Pétrarque, Boccace et infinité de beaux vers latins de Virgile, d’Horace, d’Ovide, etc. Elle parlait bien, en termes choisis, ses propos étaient pleins de sens et de goût