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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/119

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LES RAGIONAMENTI

qu’une autre s’était emparée de son château, de sa ville, de ses États.

Antonia. — Dieu fasse du bien au Seigneur Dieu qui la punit de ces trois coups de couteau !

Nanna. — Écoutes-en une autre, ma sœur.

Antonia. — Avec plaisir.

Nanna. — Il y avait certaine dédaigneuse, belle sans aucune grâce, et même, non pas belle, mais jolie à voir, qui plissait les lèvres et fronçait le sourcil à propos de tout ; c’était une hermine, une éplucheuse, une flaire-malpropretés, la plus fastidieuse qui naquit jamais. Elle trouvait à redire à tous les yeux, à tous les fronts, à tous les cils, à tous les nez, à toutes les bouches, à toutes les figures qu’elle voyait. Jamais elle n’aperçut de dents qui ne lui parussent noires, ébréchées et longues ; à son idée, pas une femme ne savait parler, pas une ne savait marcher, et toutes étaient si mal bâties que leurs robes leur pleuraient sur le dos. Lorsqu’elle voyait quelque homme en regarder une : « Elle est comme Dieu veut, disait-elle ; elle fait de plus en plus parler d’elle. Qui l’aurait jamais cru ? Je l’aurais prise pour confesseur ! » Elle blâmait celles qui ne se mettaient pas à la fenêtre et celles qui s’y mettaient ; bref, elle s’était faite la censure vivante de toutes les femmes, et toutes la fuyaient comme la male aventure, Quand elle allait à la messe, tout lui puait, jusqu’à l’encens, et allongeant sa moue, elle s’écriait : « Quelle église bien balayée ! quelle église bien arrangée ! » Elle allait flairant chaque autel, en marmottant ses patenôtres, et disait son mot à chaque : « Quelles nappes ! quels chandeliers ! quels sales gradins ! » Pendant que le prêtre lisait l’Évangile, ne voulant pas se tenir debout avec les autres, elle faisait certains hochements de tête, comme si le prêtre n’en disait pas un mot, et, à l’élévation, elle prétendait que l’hostie n’était pas de pur froment. En trempant le bout du doigt dans l’eau bénite, pour se faire de mauvaise grâce une croix sur le front, elle disait : « Quelle honte de ne pas la changer ! » Autant d’hommes qu’elle rencontrait, autant de fois elle faisait la grimace, disant :