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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/126

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

puis, les cuisiniers lui donnaient les têtes, les pattes et les intérieurs des poulets. Mais voici que bientôt l’idole de cette vertueuse femme, qui faisait voyager son corps en paradis et se souciait de son âme comme nous nous soucions des Guelfes et des Gibelins, éveilla les soupçons du Jardinier, en cueillant certaines petites salades dont les Moines n’usaient pas. Le Jardinier observa soigneusement ses faits et gestes, et le voyant maigre, les yeux en dedans, les jambes vacillantes et toujours des œufs frais à la main, se dit : « Il y a quelque chose là-dessous. » Il en dit un mot au Sonneur, le Sonneur s’en ouvrit au Cuisinier, le Cuisinier au Sacristain, le Sacristain au Prieur, le Prieur au Provincial et le Provincial au Général ; quelqu’un fit le guet à sa porte, pour saisir le moment où il irait en ville ; à l’aide d’une fausse clef, ils ouvrirent et trouvèrent celle que sa mère pleurait pour morte. Elle fut bien effrayée en s’entendant dire : « Hors d’ici ! » et, en sortant, fit la mine d’une sorcière qui voit mettre le feu au tas de fagots sur lequel on l’a liée pour la brûler vive. Les Moines, sans se troubler aucunement, appelèrent le Convers, qui pour lors revenait de sa tournée, l’attachèrent et lui réservèrent autre chose que d’aller manger sous la table avec les chats. Ils le jetèrent dans une prison sans jour, où il y avait un pied d’eau, et lui donnèrent une miche de pain de son le matin, une autre le soir, un verre d’eau vinaigrée et la moitié d’une gousse d’ail. Puis ils se demandèrent ce qu’il fallait faire de la femme. L’un dit : « Enterrons-la toute vive. » — « Faisons-la mourir avec lui en prison », dit un autre. — « Rendons-la à sa famille », dirent quelques âmes charitables ; il y en eut un, plus avisé, qui s’écria : « Amusons-nous-en un jour ou deux ; après, Dieu nous inspirera. » Cette proposition fit rire les jeunes et même ceux d’un âge mûr, non sans que les vieux clignassent de l’œil. Enfin, ils résolurent de voir combien de coqs suffisaient à une poule, et, la sentence prononcée, la gourmande de pastenagues ne put réprimer une risette en entendant dire qu’elle allait être la poule de tant de coqs. L’heure du silence arrivée, le Général lui parla avec les