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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/128

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Le Frère l’entendit s’écrier : « Où es-tu, à cette heure ? » et contrefaisant sa voix : « En lieu de salut, répondit-il ; je suis toujours en vie, grâce aux couronnes que vous avez déposées sur le puits ; j’y triomphe dans le giron de vos prières, et d’ici deux jours vous me reverrez plus grasse que jamais. » Il s’en alla, laissant la bonne femme stupéfaite, descendit comme il avait monté et vint narrer la bonne bourde aux moines, qui firent venir leur commune femme. Le prieur, au nom du couvent, la remercia de son humanité ; il lui en donna deux pleines charges de remerciements, lui demanda pardon de n’avoir pas mieux rempli son devoir et s’offrit encore pour la réconforter. Une chemise blanche sur le dos, la couronne d’olivier sur la tête, une palme à la main, ils la renvoyèrent deux heures avant le jour chez elle, avec le Moine qui avait annoncé sa venue à la mère ; celle-ci, que la fausse vision avait ressuscitée, attendait tout en émoi l’arrivée de celle qui aimait la viande sans os et qui, tout en laissant ses affaires sur la margelle du puits, avait eu le soin d’emporter la clef de la porte de derrière ; elle s’en servit pour rentrer, renvoya le Père nécromant, non sans lui laisser grignoter une petite tranche, et s’assit sur le puits : le jour parut ; la servante se leva, vint pour tirer de l’eau et mettre le dîner sur le feu, aperçut sa patronne vêtue comme une Sainte Ursule en peinture, et cria : « Miracle ! miracle ! » La mère, qui savait que sa fille devait faire ce miracle-là, dégringola l’escalier et s’élança à son cou si follement qu’elle faillit se précipiter dans le puits, pour de vrai. Il y eut grande rumeur ; de toutes parts on accourait au miracle, absolument comme lorsque quelque tonsuré s’amuse à faire pleurer le Crucifix ou la Madone. Et ne t’imagine pas que le mari se retint de venir, quoique la maman lui eût si bien lavé la tête ; il se jeta à ses pieds et ne pouvant dire le Miserere, à cause du torrent de larmes qui lui coulait des yeux, il étendait les bras en croix et faisait le stigmatisé. Elle le baisa, le releva, et racontant la manière dont elle avait vécu dans le puits leur donna à entendre que la sœur de la Sibylle de Norcie et la tante de la Fée Morgane y habitaient ; elle en fit