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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/132

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

principalement. Mon grand plaisir, c’était que monsieur mon époux non seulement le sût, mais le vît : et il me semblait que partout on disait de moi : « Une telle fait bien ; elle le traite comme il le mérite. » Une fois entre autres qu’il voulut me réprimander, je lui sautai dessus et le plumai de la belle façon, plus arrogante que si je lui avais apporté en dot une montagne d’or, en lui criant : « À qui crois-tu donc parler, hein ? bavard ! ivrogne ! » Je le poursuivis et lui en fis tant que, sortant de son trot ordinaire, il monta sur ses grands chevaux.

Antonia. — Ne sais-tu pas qu’on dit, Nanna, que pour rendre un homme brave il n’y a qu’à lui dire des sottises ?

Nanna. — Je le rendis donc brave par le moyen que tu dis ; mais après qu’il en eut vu plus de mille de ses yeux, à force d’en avaler, comme on avale une bouchée trop chaude, qui semble bien mauvaise, un beau jour il me trouva sur le corps un mendie-son-pain, et celle-là ne put passer ; il se jeta sur ma figure, pour me la démolir à coups de poing : Je m’esquivai de dessous le pressoir, dégainai un petit couteau que j’avais, furieuse de me voir troubler l’eau que j’étais en train de boire, je le lui enfonçai sous la mamelle gauche : son pouls ne battit pas longtemps.

Antonia. — Dieu lui pardonne !

Nanna. — Ma mère avait tout entendu ; elle me fit échapper et m’amena ici, à Rome. Ce qui résulta de m’avoir amenée ici, tu le sauras demain ; aujourd’hui, je ne veux pas t’en dire plus long. Levons le siège et allons-nous-en ; d’avoir tant bavardé, je n’ai pas seulement soif, j’ai une faim que je la vois d’ici.

Antonia. — Me voici debout. Aïe ! La crampe m’a empoigné le pied droit.

Nanna. — Fais une croix dessus avec ta salive, elle s’en ira.

Antonia. — Je l’ai faite.

Nanna. — Ça va-t-il mieux ?

Antonia. — Oui, ça s’en va… ça s’est en allé.

Nanna. — Regagnons donc tout doucement, tout doucement la maison ; ce soir et demain soir, tu resteras avec moi.