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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/155

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LES RAGIONAMENTI

méchante vigne qu’il possédait au monde, s’était fait une centaine de ducats et les avait mis dans une caisse, s’était fourré dans la tête de me vouloir pour femme. Il s’en ouvrit à mon barbier qui m’en fit toucher un mot ; je sus ce qu’il avait d’argent comptant par le moyen de celui qui m’en causait, et le fis si bien mordre à l’espérance que, certain désormais de m’avoir, il vint chez moi : à force de le caresser, en un mois, j’obtins que, de ses cent ducats, il me garnît les lits, la cuisine et toute la maison de ce qui manquait aux lits, à la maison et à la cuisine. Après lui avoir donné à goûter une fois ou deux, pas davantage, lui cherchant querelle à propos de persil, je le traitai de tête de cheval, de salop, de canaille, de gueux, d’imbécile, d’ignorant, et lui envoyai la porte dans l’estomac. Une fois bien certain de son erreur, le malheureux se fit Moine au cou tors. Et je riais !

Antonia. — Pourquoi ?

Nanna. — Parce qu’une putain s’acquiert un grandissime renom quand elle peut se vanter d’avoir désespéré, ruiné, rendu fou quelqu’un.

Antonia. — Sans envie de ma part.

Nanna. — Que de bons écus j’ai gagnés en trempant celui-ci et celui-là ! Chez moi soupait souvent, très souvent, beaucoup de monde ; le repas fini, on apportait les cartes sur la table. « Or çà, disais-je, jouons deux jules de dragées ; celui par exemple à qui tombera le roi de coupe paiera. » Les dragées perdues et achetées, les gens, une fois les cartes en main, pouvaient se retenir de les mêler comme une putain de faire l’amour ; l’argent sortait des poches et on se mettait à jouer pour de bon. Survenaient alors deux filous de l’air de vrais nigauds, qui, après s’être fait un peu prier, prenaient des cartes plus fausses que les doublons de la Mirandole, et à l’étourdie, par hasard, ramassaient les écus des convives : je leur indiquais par signes le jeu que ceux-ci avaient dans la main, ne me fiant pas trop aux fausses cartes.

Antonia. — Des plaisanteries, ces cartes-là.

Nanna. — Pour deux ducats, je fis savoir à quelqu’un que son ennemi devait venir deux heures avant le jour, et absolu-