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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/163

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LES RAGIONAMENTI

Nanna. — Bien plus fort, c’est certain. Mais poursuivons notre conversation et prends note de cette petite rouerie qui est bien bonne. La mouche lui grimpait au nez tout de suite et il ne pouvait se retenir, à la première chose qui lui déplût, de me dire des sottises. Sa fureur passée, il s’agenouillait à mes pieds, les bras en croix, me demandant pardon, et ma gentillesse lui infligeait une pénitence aux dépens de sa bourse. Un jour, le voyant sortir des convenances, je le fis tomber dans un tel désespoir, en m’échappant de ses bras et en allant me livrer à son rival, qu’il me roua de coups. Puis, revenu à lui et croyant impossible de jamais me radoucir, parce que je feignais de ne plus vouloir l’écouter, il me donna la moitié de sa fortune : de cette façon, il eut la paix.

Antonia. — Tu faisais comme un poltron qui, après s’être fait délivrer caution de ne pas être frappé, provoque son adversaire et l’excite à sortir les poings, pour le mettre dans la peine.

Nanna. — Juste, j’étais bien comme un de ceux-là. Ah ! ah ! ah ! Je mouille ma chemise en songeant au prêcheur qui n’a institué que sept péchés mortels, pour tout le monde de l’Univers, tandis que la plus chétive putain qui soit en possède un cent à elle seule. Considère un peu combien en tient une de celles qui, pour couvrir son autel, dépouille un millier d’autres églises ! Antonia, la gourmandise, la colère, l’orgueil, l’envie, la paresse et l’avarice naquirent le jour où le putanisme est né : si tu veux savoir de quelle façon dévore une putain, informe-toi à ceux qui l’invitent ; si tu tiens à apprendre avec quelle rage se met en colère une putain, demande-le au père et à la mère de tous les saints du calendrier. Sache que si elles le pouvaient, elles engloutiraient le monde dans l’abîme, en moins de temps que ne l’a fait Messire le Seigneur Dieu.

Antonia. — Mauvaise affaire !

Nanna. — L’orgueil d’une putain est pire que celui d’un vilain endimanché ; l’envie d’une putain est ce qui la ronge, comme le mal français ronge quiconque l’a dans les os.

Antonia. — De grâce, ne m’en fais pas souvenir ; je l’ai eu et je n’ai jamais pu savoir comment.