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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/174

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Antonia. — Mais que vient faire cette liste de noms avec les contes que tu inventais ?

Nanna. — Elle vient faire que les béjaunes, rassurés par leur inscription au tableau, qui leur notifiait leur nuit, se trouvaient dupés souvent ; ah oui ! souvent. Il m’arrivait d’opérer le change, conme cela se pratique aussi dans les églises, pour les messes.

Antonia. — De cette façon, oui ; les menteries appelaient à propos l’histoire du tableau.

Nanna. — Maintenant, écoute-moi celle-ci et garde-la pour t’en faire honneur. J’empruntai une chaîne de grand prix à l’un de mes désentraillés d’amour : il l’avait empruntée lui-même à un gentilhomme qui en avait dépouillé sa femme, pour lui complaire, et le jour qu’il me la mit au col fut précisément celui où le Pape donne la dot, dans l’église de la Minerve, à tant de jeunes filles pauvres.

Antonia. — Le jour de l’Annonciation ?

Nanna. — De l’Annonciation ; c’est cela. Je me la mis au cou ce jour-là, mais je ne la gardai pas longtemps.

Antonia. — Pourquoi pas longtemps ?

Nanna. — Parce que dès que je fus à l’église et que je vis la presse qu’il y avait, je songeai à me l’approprier. Qu’est-ce que je fis ? Je m’ôtai la chaîne du cou et la donnai à quelqu’un qui me tenait le secret mieux qu’un confesseur. Puis je m’enfonçai dans la foule, quoique je fusse déjà au beau milieu, et tout à coup je poussai un cri pareil à ceux que poussent les gens à qui le charlatan arrache une molaire sur le Campo di Fiore. Tout le monde se retourne au cri, et voici la bonne Nanna qui se met à dire : « Ma chaîne ! ma chaîne ! le voleur ! le coupe-bourse ! le gredin ! » En parlant et en pleurant, je m’arrachais les cheveux ; on faisait cercle autour de moi, l’église en fut bouleversée et le tumulte en arriva jusqu’au bargello ; il empoigna je ne sais quel pauvre diable qui lui parut, à la mine, avoir volé la chaîne, le conduisit sur-le-champ à Torre di Nona, et peu s’en fallut qu’il ne le fît pendre tout chaud, tout chaud.

Antonia. — Je ne veux pas en écouter davantage.