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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/179

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LES RAGIONAMENTI

bruit se répandit partout que j’en étais au bouillon de poulet et à l’extrême-onction pour lui. « La putain a fini par donner dedans, disait-on, et pour qui ? pour un gamin dont la bouche pue encore le lait ! Il la fera damner, à ne jamais rester sérieux une heure. » Moi, je ne disais rien, mais je me rongeais ; oh ! à fleur de peau. Alors je fis semblant de ne pouvoir plus ni manger ni dormir, j’en parlais toute la journée, je l’appelais continuellement et fis si bien qu’on se mettait à parler que j’irais ramasser des pierres et que je finirais par mourir pour ses beaux yeux. Le jouvenceau, qui profitait de quelques bonnes nuits et de quelques friands soupers, allait partout faire le vantard et montrait à qui voulait une turquoise de peu de valeur que je lui avais donnée. Quand il était avec moi, je ne cessais de lui dire : « Ne vous laissez pas manquer d’argent, n’allez pas en emprunter à d’autres que moi, tout ce que je possède est à vous, puisque moi aussi je suis vôtre. »

C’est ce qui le faisait se pavaner dans les Banchi, quand il voyait qu’on le montrait du doigt. Un jour qu’il élait chez moi vint me voir un haut et puissant personnage ; je fis cacher mon jeune homme dans un cabinet, et dis d’ouvrir. Le grand seigneur entra, s’assit, puis, apercevant je ne sais quels draps de toile blanche : « Qui en aura l’étrenne ? s’écria-t-il : votre Ganymède ? » ou Canymède, je ne me rappelle pas bien. « Il en aura l’étrenne, pour sûr, répondis-je ; je l’aime, je l’adore, c’est mon Dieu, je suis sa servante, et je la serai éternellement, tout en vous caressant, vous autres, pour votre argent. » Pense un peu s’il se rengorgeait en m’entendant parler comme ça. L’autre parti, je revins lui ouvrir : il s’élança dehors, sa chemise ne lui touchait pas le cul, et se prélassant par la salle, il avait l’air de s’approprier du regard et ma personne et mes chambrières et toute ma maison. Pour en venir à l’Amen de mon Pater noster, un jour qu’il voulut me donner l’estrapade à sa façon, sur une caisse, je le laissai en belle humeur et fus m’enfermer avec un autre. Lui, qui n’était pas habitué à des plaisanteries de ce genre, il prit sa cape, en lâchant au vent quelque sottise, et sortit,