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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/35

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LES RAGIONAMENTI

naient les plus doux baisers du monde et ils s’efforçaient de les donner le plus emmiellés possible.

Antonia. — Et qui les donnait avec le plus de sucre, à ton avis ?

Nanna. — Les Frères sans aucun doute.

Antonia. — Pour quelle raison ?

Nanna. — Pour les raisons qu’allègue la Putain errante de Venise[1].

Antonia. — Et puis ?

Nanna. — Et puis, tous s’assirent à une des plus délicates tables qu’il me parut avoir jamais vues. À la place d’honneur, on voyait l’Abbesse ayant à sa gauche messire l’Abbé : après l’Abbesse venait la Trésorière et près d’elle le Bachelier ; en face d’eux était assise la Sacristine, et à son côté se tenait le Maître des novices. Suivaient une sœur, un frère et un séculier, et au bas de la table se tenaient je ne sais combien de clercs et d’autres moinillons. Je fus placée entre le Prédicateur et le Confesseur du monastère. Et alors arrivèrent les mets d’une telle qualité que le Pape, osé-je dire, n’en mangea jamais de pareils. Dans le premier assaut, les caquets furent laissés de côté, de manière qu’il semblait que le silence inscrit là où les moines absorbent leur pitance eût pris possession de la bouche de chacun et même des langues, car les bouches faisaient le même murmure que font celles des vers

  1. Il s’agit évidemment du poème de l’Arétin contre l’Elena Ballerina, poème attribué à Lorenzo Venerio et publié sous le nom de son fils Maffeo Venerio, évêque de Corfou. Voici ces raisons qui sont au chant iii :

     « Concluons donc qu’un grand cas bien ferme,
    « D’un vaillant homme de frère dans toute la force de sa jeunesse
    « Quand le bouillon et le vin l’ont échauffé,
    « Alors qu’il n’est ni hiver ni été,
    « Et quand le rut le rend entreprenant et hardi,
    « Les coups qu’il donne sont tellement sans arrière-pensée
    « Que je voudrais, verbi gratia, de temps en temps,
    « Qu’il fût tout cas et moi toute mirely. »

    Ce dernier trait est tout arétinesque, on le retrouvera dans les Sonnets.