Aller au contenu

Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Antonia. — J’attends que tu viennes au fait comme les bambins attendent la nourrice pour qu’elle leur mette la mamelle en bouche, et le retard me paraît plus cruel que le samedi saint à qui pèle les œufs après avoir fait le Carême.

Nanna. — Venons-en à quia. Étant restée seule et déjà amoureuse du Bachelier, car il ne me paraissait pas licite de vouloir contrevenir aux usages du monastère, je pensais aux choses entendues et vues depuis cinq ou six heures que j’y étais entrée, et tenant toujours en main le pilon de verre, je me mis à l’examiner de l’œil de qui voit pour la première fois cette si terrible gargouille en forme de lézard qui fait partie de l’église del Popolo. J’en étais plus émerveillée que de ces arêtes monstrueuses du poisson qui était resté à sec à Corneto. Je ne pouvais m’imaginer pourquoi les Sœurs faisaient tant de cas de cet objet. Et au milieu de ce débat de pensées, j’entends résonner quelques éclats de rire si violents qu’ils auraient ragaillardi un mort. Le bruit ne faisant qu’augmenter, je résolus de voir d’où partait ce rire, et me mettant debout, j’approchai l’oreille d’une fissure, et comme on voit mieux dans l’obscurité avec un œil qu’avec deux, je fermai le gauche et fixant avec le droit dans le trou qui était entre deux briques, j’aperçois… Ah ! ah ! ah !

Antonia. — Que vis-tu ? Dis-le-moi, de grâce !

Nanna. — Je vis dans une cellule quatre Sœurs, le Général et trois moinillons de lait et de sang en train de dépouiller le Révérend Père de sa tunique et de le revêtir d’un pourpoint de velours ; ils couvrirent sa tonsure d’une calotte d’or, sur laquelle ils posèrent une barrette de velours, pleine de pendeloques de cristal, ornée d’un panache blanc ; ils lui ceignirent enfin l’épée au côté, après quoi le bienheureux Général, soit dit en parlant pour toi et pour moi, se mit à se promener de l’air d’un Bartholomeo Coglioni[1]. Pendant ce

  1. Pour Colleoni, fameux condottiere bergamasque, qui s’illustra au service de Venise. Il est un des premiers qui aient fait usage du canon. Il mourut en 1475.

    Allusion à sa mine fière sur le monument équestre, élevé à