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vers de Mallarmé et une pensée de Chamfort. « Cela n’étonne pas (1). Je l’ai dit : quand M. de Régnier vous parle, il a toujours l’air de vous étudier. Dans leur couleur un peu passée, dans leur ton de Mémoires, du reste très naturel puisqu’ils racontent une vie passée, ses romans sont pleins de traits pris à des gens d’aujourd’hui, et de traits profonds, significatifs, qui peignent d’un coup un personnage, et que seul un esprit d’analyse et d’observation pouvait saisir. Or, on ne devient pas observateur, on l’est et on se perfectionne. Il y a d’ailleurs dans l’œuvre poétique de M. de Régnier un grand côté de subjectivisme, d’étude du moi, de dédoublement, je pourrais presque dire d’égotisme. Seulement, le besoin poétique fut longtemps le plus fort. Une puissance de création était en lui qu’il lui fallait utiliser, sous peine de la voir tarir, et il voulait dire d’abord tout ce qu’il sentait avoir à dire poétiquement. Il comprenait aussi qu’on n’écrit pas de romans valables à vingt ans, qu’il est nécessaire d’avoir un peu vécu, et il attendait. Son œuvre poétique avancée, il songea davantage au roman. Il écrivit alors ses Contes, qui lui furent une transition de l’une à l’autre. On peut aussi se rendre compte du travail de son esprit comme romancier. Dans La Double Maîtresse, le poète des Poèmes anciens et romanesques se sent encore à chaque page. On le retrouve moins dans Le Bon Plaisir. On ne le retrouve presque plus dans Le Mariage de Minuit. Dans Les Vacances d’un jeune homme sage, il n’y a plus que le romancier.

(1) Cela est néanmoins à remarquer. La vocation littéraire commence en effet généralement par l’amour de la forme, de la rhétorique. Le goût pour le fond, pour ce que j'appellerai l’esprit, la sensibilité d’un livre, en dehors de tout style, ne vient que plus tard, après qu’on a beaucoup lu et comparé, et qu’on aime un peu moins la « littérature ».