Page:Léo - Jean le sot.djvu/2

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dant ; il avait bien ses visées et prétendait, lui aussi, faire à sa tête. Mais ce pauvre esprit, quand il se mettait en chasse, n’attrapait jamais rien de bon.

À force de temps et de patience, on vint à bout de l’habituer à soigner les bœufs, et il finit par s’acquitter de ce soin aussi bien qu’un autre. Il aimait ses bêtes, qui l’aimaient aussi. Les paysans même dans leur langage disaient : il s’entend mieux avec elles qu’avec les chrétiens. Car pour eux, qui vivant avec elles, connaissent bien leurs bêtes et savent leurs finesses, le signe de distinction le plus sûr entre l’homme et la bête, c’est le baptême.

Il y avait un des bœufs, le grand roux, que Jean le Sot aimait plus que les autres. Aussi, quand à la maison on le tourmentait, Jean s’en allait-il dans l’étable, et se jetant au cou du grand roux, lui contait son chagrin. Ce que le bœuf y pouvait entendre, on ne sait ; mais toujours est-il que de sa grosse langue il caressait Jean et le consolait un peu.

Véritablement, on ne traitait pas Jean de même que ses frères, et on le méprisait à cause de sa sottise. Ainsi, au lieu d’être mis en culottes à l’âge de sept ans, comme tous les petits gars du village, il fut laissé dans la robe, et avec la calotte à cornes et à paillettes sur la tête. Comme il était poussé de chair et d’os tout autrement que d’esprit, cela faisait une étrange figure, et quand il courait dans les rues avec les autres garçons, ainsi accoutré, on l’eût pris pour une fille dégingandée, sans le gland qui pendait à sa calotte par derrière, et qui faisait voir que c’était un innocent, oublié après l’âge dans ces habits-là.

Enfin, à l’occasion de la noce de sa sœur ainée, et comme il avait quinze ans, jugeant que la chose ne pouvait aller plus loin, on lui fit prendre mesure d’un habit par le tailleur. L’habit fait, il fallut le lui essayer, mais cela se trouva être bien autrement difficile qu’on ne l’avait imaginé. D’abord, il mit l’ouverture de sa veste dans le dos, et quand on l’en reprit, jura que c’était pitié qu’on fit ainsi les choses à rebours ; quant au pantalon, à peine eut-il enfoncé une jambe dans un des fourreaux, qu’il la retira bien vite pour passer l’autre ; ainsi de suite plusieurs fois ; et jamais le tailleur ne put lui faire entendre qu’il y devait laisser la première, afin qu’elles puissent arriver à s’y trouver toutes les deux.

— Ne suis-je pas obligé de garder tout au moins une de mes jambes à mon ser-