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UN DIVORCE

Une heure avait sonné quand elle entendit son pas enfin. Elle tressaillit des pieds à la tête et une forte réaction se fit en elle. Les larmes vraies sont pleines de pudeur, et c’est toujours dans la solitude que se vide le plus amer du calice humain. Claire se releva, essuya ses larmes, et se tint toute raide dans l’attente.

Il mit bien plus de deux minutes à ouvrir la porte, et quand il entra son terne regard ne trahit aucune émotion ; son pas était indécis. Elle lui trouva l’air tout étrange. Il se laissa tomber lourdement sur une chaise, et dit avec indifférence :

— Quoi ! tu n’es pas couchée ?

— Je n’aurais pu m’endormir, répondit-elle d’une voix rauque et brisée.

— Pourquoi ça ? Il ne faut pas que tu m’attendes, vois-tu ? on ne sait jamais… Cet imbécile de Monadier, on ne peut pas le quitter ; et puis le vin d’Ivorne… C’était du quarante-neuf, et on en a trop bu, c’est bête ; j’ai la tête un peu alourdie… Ça ne m’arrive pas souvent au moins… Ça m’est arrivé la première fois à Thoune, parce que… Bah ! je tombe de sommeil ; je te conterai ça plus tard.

Il s’approcha du lit et se déshabilla ; puis il dit encore à Claire sans la regarder :

— Tu ne te couches pas ?

— Ne t’occupe pas de moi, répondit-elle.

Il se coucha sans rien objecter à cette réponse, sans remarquer l’amertume de la voix de sa femme, et quelques instants après il dormait profondément. Claire s’affaissa dans son désespoir, composé de deux seules pensées qui lui brisaient le cerveau : l’abaissement de son idole et la perte de son bonheur, de ce bonheur qu’elle avait possédé si peu de temps. Elle passa toute la nuit