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Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/115

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UN DIVORCE

des plus belles journées du milieu d’octobre. Il faisait une chaleur d’été, tempérée par un vent mou, et le ciel tout bleu montrait seulement à l’horizon quelques nuages rougeâtres.

Vers une heure de l’après-midi étaient venus se joindre aux vendangeurs de la ferme la troupe des amis invités. C’étaient la famille Pascoud, augmentée de M. Boquillon, le mari de Louise, et de M. Renaud, le prétendu de Fanny ; puis la tante Charlet, Mathilde, Étienne et Camille. On attendait Claire et Ferdinand.

Tous, caquetant à cœur-joie, rappelaient la légende païenne de Bacchus, qui délie la langue et ouvre les cœurs. M. Pascoud récitait des vers galants de Demoustiers ; M. Renaud fredonnait une chanson de table ; Mathilde, les traits animés, causait avec Camille ; Étienne et Anna seuls marchaient silencieux l’un près de l’autre. Les enfants Schirling aussi étaient venus s’ébattre dans la vigne, suivis de leur bonne Betzy, et leur père se tenait à quelques pas de là, dans le chemin, accoudé sur la palissade, de cet air rêveur et triste qui lui était habituel.

Nul ne songeait à la controverse, quand M. Boquillon, jaloux, en sa qualité de ministre du Très-Haut, de ramener la compagnie à des pensées moins profanes, cita la Bible et Noé dans quelques phrases édifiantes. Impatientée peut-être du peu d’attention que lui prêtait Camille, mademoiselle Sargeaz entreprit alors une vive discussion contre les textes sacrés, à l’aide de toute l’érudition qu’elle possédait, et qui n’était point légère. Ce fut un choc formidable, une joute acharnée. L’autorité théocratique, attaquée par la main d’une femme, éclata en foudres, tandis que son adversaire, non moins âpre, l’écrasait de citations et d’arguments