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UN DIVORCE

Oui, désormais il est un autre homme. Il sent un miracle en lui. Dieu l’a repris, le diable l’a laissé. Désormais, il sera fort ; il sent très-bien, à l’ardeur qui le remplit, qu’il n’a qu’à se laisser aller pour être bon et grand.

Et il marchait, il marchait si vite qu’on l’eût dit à la poursuite de quelqu’un.

— Un batz, s’il vous plaît, mon bon monsieur !

À cette requête chantée sur trois notes plaintives, à mesure traînante, le jeune rêveur s’arrêta brusquement, et, voyant une petite main rouge tendue vers lui, machinalement il fouilla dans sa poche, et y prit une de ces jolies pièces de dix centimes qui représentent, ainsi que les autres monnaies suisses, l’Helvétie et ses attributs.

Mais au moment de remettre son aumône à la créature suppliante qui attendait son bon vouloir, un flot de tendresse et de miséricorde inonda le cœur d’Étienne. Elle était si bonne, elle ! non-seulement elle donnait aux pauvres tout ce qu’elle avait, mais c’était encore avec des paroles douces et fraternelles qui versaient dans l’âme un autre secours. Il replongea donc la main dans sa poche, et cette fois, en retirant une pièce de deux francs, il la mit dans la main de la mendiante, en lui disant d’un ton affectueux :

— Bonsoir, mon enfant !

C’était une fille de dix-sept à dix-huit ans, vêtue de loques, et dont les traits offraient un mélange singulier de hardiesse et de candeur ! Elle n’avait d’autre coiffure qu’un mauvais fichu de soie noire attaché sous le menton, et ses cheveux en désordre, mal retenus par un peigne brisé, ondulaient sur son front et pendaient sur son cou. Sa taille, déjà forte, et gracieusement arrondie, se révélait sous les plis d’une mauvaise camisole de laine, et