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Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/142

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UN DIVORCE

— Des païens ! s’écria Mathilde. Et vous ne songez pas à les convertir, ma tante ?

— Il faudrait commencer par vous, mademoiselle ; mais…

— En effet, dit Étienne en s’emparant de l’argument, cette pauvre fille est une vraie sauvage, ne connaissant presque ni le bien ni le mal, et ce serait une bonne œuvre…

— Oh ! les bonnes œuvres à faire ne manquent pas, dit l’obstinée tante, qui n’eût point lâché pied tant que le frère et la sœur eussent plaidé cette cause de concert ; mais, grâce à Mathilde, l’ordre de la bataille changea.

— Quant à moi, je ne sais si ce serait une bonne œuvre, dit-elle, que d’introduire cette heimathlose dans la vie civilisée ; misère pour misère, la sienne vaut mieux ; et si, comme tu le dis, Étienne, elle ne connaît ni le bien ni le mal, tu ferais mieux de la laisser dans son paradis terrestre.

— Beau paradis, vraiment ! son père la bat ; sa mère est occupée d’une troupe d’enfants plus petits ; et cette fille, qui est vraiment jolie, court çà et là…

— En liberté ? L’heureuse créature ! dit Mathilde, qui n’avait aucune horreur du paradoxe.

— Faut-il entendre ainsi parler une femme ! une demoiselle ! ma nièce !… s’écria la tante Charlet en levant les mains au ciel, vous devriez rougir de honte !

— De quoi ? d’aimer la liberté ? Je n’en suis pas si avide que vous.

— Comment ? vous extravaguez, je crois.

— Pas du tout ; c’est très-clair. Il vous faut absolument celle des autres ; moi, je ne réclame que la mienne.

— Vous ne la prenez que trop.

— Quel abus en ai-je fait ?