Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/327

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
315
UN DIVORCE

missante, elle changea brusquement de lieu, comme pour fuir ses pensées. Quelque temps elle marcha sans bat ; puis, enfin, rassemblant tout ce qui lui restait de force, de courage et d’espérance, elle voulut poursuivre sa tentative, faire un appel à ce cœur qui autrefois avait battu sur le sien, et voir ce qui pouvait s’y trouver encore de chaleur sacrée. Elle ne voulait désespérer qu’après avoir tout épuisé.

Claire se trouvait de nouveau sous l’empire d’un de ses élans pendant lesquels, emportés vers un but, nous ne comprenons plus ces mille petites barrières, dont nous avons rempli nos chemins. Elle voulut se rendre au café de madame Fonjallaz, afin de savoir si Ferdinand pouvait être là.

Il était improbable qu’il l’eût osé ; en outre, la présence de madame Desfayes au seuil de la Fonjallaz eût été un scandale nouveau. Mais elle ne pensait point à cela ; ne pouvant tenir compte en ce moment que de deux choses, la passion de son mari et la sienne à elle, elle obéit à cette impulsion, et, pour aller au café du Nord, elle s’engagea résolûment sur le Grand-Pont, un des lieux de la ville le plus mal éclairés et le plus mal hantés le soir.

— Où allez-vous donc comme ça ? dit à son oreille une voix d’homme, dont l’accent mielleux et traînard fit passer dans ses veines un frisson de dégoût. Elle eut peur et parcourut du regard l’espace autour d’elle.

À quelque distance, dans les ténèbres du trottoir, des formes chuchotaient ; à droite les lumières de la ville brillaient éparses ; mais dans toute l’étendue du ravin, et à gauche, du côté de Montbenon, ce n’étaient qu’ombres plus ou moins épaisses. De grandes lignes courbes marquaient sur le ciel le sommet des arbres de la promenade,