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UN DIVORCE

— Vous nous suivrez en Russie, Mathilde, dit le comte Tcherkoff.

Un peu étonnée d’abord de cette familiarité, mademoiselle Sargeaz le regarda sans répondre. Puis, avec élan :

— Eh bien ! soit, Dimitri, vous devez être mon frère, puisque mon père vous appelle son fils.

Elle lui tendit la main, qu’il prit dans la sienne ; mais, comme il se courbait pour la baiser de nouveau, elle la retira.

— Pas de ces faux respects, Dimitri ; je suis votre égale.

Malgré l’obscurité, elle vit briller sur elle un long regard vif et doux.

— Soyez tranquille, Mathilde, je vous respecte trop pour être servile avec vous.

— Ah ! vous comprenez cela ? reprit mademoiselle Sargeaz émue. Eh bien ! vous êtes le seul avec mon père… Elle ajouta : Mais êtes-vous vraiment l’homme qui veut ce qu’il croit ? Il en est si peu, même parmi les élus de l’intelligence, si peu qui ne sachent faire d’ingénieuses distinctions entre leurs actes et leur foi !

— Ma fille, interrompit M. Sargeaz, tu peux te fier à lui ! Celui-ci est une âme forte et neuve, que les torrents de la sophistique occidentale n’ont point dévastée. Ces fils de barbares, vois-tu, qui ont reçu l’idéal, c’est leur czar, et ils le servent avec des forces plus ardentes et plus jeunes que les nôtres. Quand tu connaîtras bien ton nouveau frère, Mathilde, tu feras plus que de l’aimer, tu le respecteras.

— Et maintenant, reprit en souriant le jeune comte,