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Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/85

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UN DIVORCE

oreille ; elle revoyait en même temps ce Monadier avec ses yeux hardis et son air cynique ; puis elle se rappela encore ce qu’avait dit Ferdinand : « On ne peut pas vivre à deux toute la vie ; il y a d’autres affaires et d’autres intérêts que l’amour. »

Tout cela la faisait souffrir. Elle ressentait comme l’impression d’une chute, sans savoir pourquoi.

Le bateau à vapeur avait repris sa course, et l’on voyait se dérouler à droite les vignobles en terrasse de la côte vaudoise. Ils sont beaux à voir, quoique dus seulement au génie modeste de la patience et du travail ; beaux comme un monument de conquête, bien que ce soit seulement une conquête utile faite sur la nature. Du niveau du lac au sommet du mont, on compte jusqu’à vingt-deux étages de murailles, qui, réunies par des escaliers, montent presque superposées comme une Babel.

Là, pendant toute la belle saison, des vignerons, hommes, femmes et enfants, la hotte sur le dos, cramponnés à toutes les hauteurs, aux flancs du mont, bêchent, élaguent, effeuillent, et quelquefois rapportent péniblement sur leurs épaules le terrain emporté par la fonte des neiges ou par les pluies. C’est là que se déploie la lutte entre la force aveugle qui suit sa pente et la force intelligente qui analyse, combine et prévoit. Tout en haut cependant, au sommet du mont, la nature triomphe ; car ce monument de l’industrie est couronné par un diadème de rochers rugueux, où les gigantesques arceaux de la ronce folle semblent faire flotter au vent des panaches de victoire.

Mais le vigneron vaudois en rit dans sa barbe ; car la ronce et le rocher ne sont là que pour protéger son œuvre, supporter le premier effort des bises, et préserver la