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LA VIE DE JÉSUS

l’Éternel ? — Il était donc d’usage que le brûleur d’encens s’acquittât de ses fonctions le plus lestement possible, pour ne pas prolonger l’émotion générale.

Mais voici que ce jour-là Zacharie n’en finissait plus. Les craintes des Israélites étaient vives : les secondes, les minutes s’écoulaient, lentes comme des siècles, et Zacharie ne reparaissait pas.

Enfin, il mit le nez à la portière, mais quel nez ! un nez immense, un nez qui s’était allongé d’une façon lamentable. Il pendait, morne et lugubre, sur un visage terrifié. De plus, le propriétaire de ce visage terrifié et de ce nez morne tremblait comme une feuille. — Il s’était donc passé quelque chose de bien grave derrière le rideau ? — Je te crois, Nicolas !

Quelque chose dont on ne se fait pas une idée. Oyez l’anecdote, et frémissez.

Zacharie, lui, pas bête, s’était dit : « Pendant que je porte au père bon Dieu les prières de tout ce monde-là dont je me fiche comme d’une guigne, je devrais bien présenter à l’invisible Sabaoth une petite requête pour mon compte personnel. » Et, après s’être tenu ce raisonnement, il s’était prosterné en murmurant à voix basse : « Mon Dieu, si vous étiez gentil pour un sou, vous mettriez fin à la stérilité de ma femme, et, par la grâce de votre toute-puissance, vous arrangeriez ça de façon à ce qu’Élisabeth me gratifie d’un moutard sans me faire poser plus longtemps. » Et Zacharie était demeuré un bout de temps le front courbé sur le parvis du Tabernacle.

Quand il s’était relevé, v’lan ! il s’était trouvé nez à nez avec un ange éblouissant de lumière. Au lieu d’être content, ce nigaud de Zacharie avait eu le trac ; il ne s’attendait pas à voir sitôt un messager de Dieu. L’ange avait dû même le rassurer :

— Calme ta frayeur, ô Zacharie béni entre tous les Zacharies, lui avait-il dit ; le Seigneur a entendu ta prière et l’a exaucée ; par un effet rétroactif que ton intelligence humaine ne peut comprendre, il transforme ta femme. Tu avais laissé Élisabeth dans son état normal de stérilité ; eh bien, avant neuf mois, tu m’en diras des nouvelles. Tiens, veux-tu que je t’en apprenne encore plus long ? Ce sera un garçon que tu auras, et tu l’appelleras Jean. Bien mieux, il sera ta joie et celle d’Israël ; il ne boira jamais de vin ni rien de ce qui peut enivrer. Il prêchera le peuple, et, comme il parlera n’ayant jamais de cuite, il sera toujours cru. Les mécréants se convertiront à sa voix, et même, — je vais t’ahurir pour le coup, mon vieux, — c’est lui, lui, ce Jean, qui sera le précurseur du Messie.

C’était trop beau. Le mari d’Élisabeth avait cru à une fumisterie, et il avait répliqué à l’ange :

— Monsieur, le bon Dieu m’accorde beaucoup plus que je ne lui ai demandé ; c’est donc qu’il se moque de moi. Je veux bien vous croire ; mais donnez-moi une preuve de la divinité de votre message.