Page:Léo Taxil - La Vie de Jésus.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
LA VIE DE JÉSUS

extraordinaire, son navire eût été sauvé. La pensée ne lui vint pas que le Verbe, maître des éléments, avait peut-être soulevé cette tempête pour se donner le mérite de l’apaiser ; en effet, comme dieu, notre Oint avait parfaitement le pouvoir de jeter la perturbation dans l’atmosphère ; rien n’est impossible à un fils de pigeon, même quand il dort. Qui sait si Jésus n’avait pas entendu dans son sommeil la conversation de ses apôtres, inquiets de n’avoir pas en poche de quoi payer la traversée ?

On débarqua.

Le premier individu que la sainte bande rencontra fut un possédé ; mais, cette fois, ce n’était pas un possédé vulgaire. On n’en avait jamais vu comme celui-là.

Sa famille avait renoncé à le soigner.

Il vivait dans une rage continuelle, au lieu d’avoir des accès intermittents comme le commun des possédés.

Aussi, l’avait-on chassé de la ville.

Il habitait une grotte creusée dans le rocher. Depuis longtemps, il avait mis ses vêtements en pièces ; il courait nu jour et nuit par les collines, poussant des hurlements, semant partout l’épouvante sur son passage. Les femmes en étaient, en outre, profondément scandalisées.

Ce possédé était légendaire. Il y avait de nombreuses années qu’il se trouvait dans ce pitoyable état. Les mamans ne manquaient jamais de l’invoquer, comme on parle de Croquemitaine, quand leurs moutards n’étaient pas sages.

— Reste tranquille, Bébé, disait-on, ou je fais venir le possédé.

Et les marmots se cachaient, tremblants, dans les jupes de leurs mères.

Quelquefois, on avait réussi à le saisir, et on l’avait attaché pour l’empêcher de se livrer à ses violences ; mais il avait une telle force qu’il brisait les cordes et même les chaînes de fer. Personne ne pouvait s’en rendre maître.

Pour se nourrir, — ceci est rapporté par les théologiens chrétiens, notamment par Thilo, professeur au séminaire de Langensalza, — il rongeait sa propre chair ; dans ses contorsions, il mordait en plein dans ses biftecks ; il déchirait aussi sa poitrine avec des pierres et il buvait son sang.

C’est ce frénétique qui vint à la rencontre des apôtres, au moment où ils mirent le pied sur la rive.

On pense avec quelles cabrioles il se présenta.

Jésus vit tout de suite à qui il avait affaire. Selon son habitude, il interpella le démon, cause réelle de toute cette gymnastique.

— Diable, s’écria-t-il, depuis quand habites-tu l’intérieur de cet homme ?

— Depuis des années et des années, répondit le diable par la voix du démoniaque ; mais pourquoi ces questions ? Laissez-moi la paix… Que je tourmente ou non mon possédé, cela ne