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LA VIE DE JÉSUS

— Ce sera comme tu voudras.

— Ce que j’ai à te communiquer, vois-tu, Philippe, ne peut pas être dit devant ces dames.

— Bigre de bigre ! exclama le tétrarque de Batanée, qui pour le coup fut surpris.

Il ne s’agissait donc pas d’une alliance en prévision d’une guerre alors. Que pouvait bien signifier l’air mystérieux du frère Antipas ? Les deux épouses ne devaient pas entendre ce qui allait se dire ; c’était en conséquence quelque chose de fort délicat.

Vivement intrigué, Philippe avala son dessert en quelques bouchées, et, sans même prendre le temps d’essuyer avec la serviette sa figure barbouillée de confiture, il se leva de table. Antipas en fit autant.

Les deux frères-rois se prirent par le bras et s’en allèrent dans le jardin, sous une tonnelle.

— Qu’est-ce donc ? demanda Philippe.

— Mon cher, ma femme me sort des yeux, j’en ai par dessus la tête, je vais la répudier.

— Je comprends que tu n’aies pas tenu à me faire tes confidences tantôt à table… Cependant, Antipas, ta femme n’est pas mal, elle est gentille…

— C’est possible, mais je ne l’aime pas, et j’en aime une autre…

— Cela se complique… Répudie ta femme, puisque tu ne l’aimes pas, et épouse celle que tu aimes. Seulement, tu sais, ton beau-père Arétas n’est pas commode : il est puissant, il est roi d’Arabie, il commande à de nombreuses troupes. À coup sûr, il prendra mal la chose, et il te déclarera la guerre…

— C’est vrai ! mais j’aime tant celle que j’aime !!!

— Pauvre frère, te voilà pris ! Je te plains, sincèrement… Tu connais, Antipas, mon affection pour toi. Eh bien, compte sur moi. Si ton beau-père envahit ton territoire, je viendrai à ton aide, je te le promets.

— Merci, Philippe.

— Ainsi donc, convole à de nouvelles noces. Tu m’inviteras, hein ?

— Philippe, je vais te dire tout… Je veux bien répudier ma femme, mais je ne puis pas épouser celle que j’aime.

— Pourquoi ?

— Bédame, elle est mariée.

— Enlève-la alors !

— Comme tu y vas !… Seulement, il y a des situations qu’un homme est obligé de respecter… Je suppose que tu tombes amoureux de la femme d’un de tes meilleurs amis, tu n’iras pas la lui ravir, que diable !

— En effet, le cas est, ma foi, très embarrassant.

— Si encore on pouvait s’entendre avec l’ami, s’il était assez dévoué pour céder sa femme à l’amoureux, tout irait sur des roulettes.