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LES TROIS COCUS

près duquel stationnait la voiture vide. Arrivée en face du numéro 25, la présidente traversa la chaussée. Le substitut Saint-Brieux habitait, avons-nous dit, la même maison que l’avocat Bredouillard. Or, Marthe avait, ce jour-la, rendez-vous d’amour avec le substitut. Tandis qu’elle passait la rue, retroussant sa jupe et laissant voir un bout de mollet grassouillet, elle aperçoit soudain le président son époux qui arrivait sur le trottoir opposé. Une pensée subite frappe Marthe comme un éclair. Trois jours auparavant, elle avait constaté la suppression d’une correspondance adressée par elle à Saint-Brieux ; elle avait soupçonné M. Mortier d’être l’auteur de cette soustraction. On n’a pas oublié le truc de la coiffe du chapeau, truc éventé par Mme Suprême. Et voilà que le président se trouvait à point nommé dans la rue Bonaparte, à quelques pas de la maison où demeurait le substitut cocuficateur ! « Plus de doute, il nous épie ! » pensa la présidente. Elle ne pouvait entrer devant son mari au logis de Saint-Brieux ; M. Mortier l’eût arrêtée au passage ; elle eût été bien embarrassée de justifier sa présence en ces parages et surtout de justifier son entrée dans l’habitacle soupçonné. Retournerait-elle brusquement sur ses pas ?

Cette retraite trop prompte, alors qu’elle traversait le beau milieu de la rue, aurait attiré l’attention des passants. On ne prend pas garde à quelqu’un qui va son chemin, tandis qu’on remarque forcément celui qui change brusquement de front. Elle se fit donc, bien petite, en continuant la traversée fatale ; elle détournait la tête, elle se masquait de son mieux, obliquant de façon à ce que le fiacre stationnaire la dérobât aux regards d’Isidore Mortier, qui avançait toujours. Ce fut alors qu’elle eut cette inspiration ; se réfugier un instant dans la voiture vide et sans cocher, pour donner à son mari le temps de passer. Mais, à peine venait-elle de s’y installer que l’automédon à deux francs l’heure reprit place sur son siège, et elle réfléchissait à ce qu’elle lui dirait pour expliquer son séjour, court, mais étrange, dans le fiacre, lorsque la portière au store baissé s’ouvrit et Robert Laripette parut. On sait le reste. C’était par un pur hasard que e président, libre plus tut que de coutume, avait, fait un tour du côté de la rue Bonaparte. Le vénérable magistral était loin de se douter que sa femme, partie pour vendanger avec Saint-Brieux les grappes de Vénus, allait, par un concours bizarre de circonstances, les vendanger avec son colocataire.

Robert et Marthe étaient donc dans une situation identique.

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