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LES TROIS COCUS

Le colonel était devenu violet. Il écumait. Il se rassit tout sec en disant :

— Non, en voilà assez ! Parlons d’autre chose !

On l’avait laissé dire ; car chacun connaissait sa manie, qui était de fulminer à tout propos contre les gens de mœurs légères et de faire, sans s’en prendre à personne de son entourage, des scènes terribles dans lesquelles les menaces aux adultères jouaient un grand rôle.

En cela, Campistron suivait un plan qu’il s’était tracé. Beaucoup plus âgé que sa femme, il s’était dit que pour s’assurer la fidélité de Pauline il devait lui faire bien entrer dans la tête que la moindre galanterie serait pour elle son arrêt de mort. La fidélité conjugale par la terreur, tel était son plan. Aussi, ne laissait-il jamais échapper l’occasion d’une sortie furieuse à propos des femmes qui joséphient leurs maris.

Son petit tapage terminé, Campistron ouvrit le Figaro, et sans autre formule de politesse :

— Vous savez, messieurs, causez de ce que vous voudrez. Moi, je vais lire mon journal.

Et, en effet, il se plongea dans sa lecture, tandis que les invités reprenaient une troisième fois leurs conversations sur la pluie et le beau temps. Seul, le général ne disait rien.

Il y avait cinq minutes que Campistron était tranquille, lorsqu’il bondit sur sa chaise :

— À la bonne heure, nom de Dieu ! voilà que le Figaro purifie sa petite correspondance… La petite correspondance, c’était la seule chose qui me heurtait dans ce journal… Toujours des déclarations d’amour et des rendez-vous contre les maris ! Aujourd’hui cela va mieux… La correspondance galante cède le pas à la correspondance militaire… Vive Dieu ! mes compliments au journal !…

Sur ce, déployant majestueusement la feuille, il lut à haute voix :

— « Correspondance à 3 francs la ligne… TAMBOUR-MAJOR. Je suis dans la forteresse. L’oursin retiré de la demi-lune. »

En entendant cette lecture, Mme  Campistron rougit jusqu’aux oreilles, mais personne n’y prit garde.

Le colonel était joyeux au possible.

— Tambour-major, forteresse, demi-lune, s’écria-t-il, tout ça, cela me botte. Vive l’armée, nom de Dieu ! Il n’y a que l’oursin que je ne comprends pas.

On allait peut-être chercher à déchiffrer cette correspon-