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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/36

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LES TROIS COCUS

et jugeait le moment venu de se reposer sur ses lauriers. Quant à sa science pathologique, il la garderait pour lui. D’une nature essentiellement indépendante, il n’avait jamais eu une seconde l’idée de s’établir docteur en médecine, position fort honorable sans doute, mais qui rend tout à fait esclaves ceux qui l’exercent. Être de jour et de nuit à la discrétion du premier malade venu qui envoie sa bonne carillonner chez vous ?… Non, cette perspective ne lui souriait pas.

Il s’était dit :

— Maintenant, je me fixe à Paris ; avec mille francs pour mon loyer annuel, et sept cent cinquante francs par mois pour le reste, c’est bien le diable si nous ne menons pas, Pélagie et moi, la vie la plus heureuse du monde !

Donc, avant de se rendre à la capitale, Robert Laripette s’était arrêté à Marseille et y prenait quelques bains de mer.

Il s’en donnait à cœur joie.

Et, tous les jours, c’étaient des exercices natatoires exécutés en pleine eau, loin de l’établissement, à la grande admiration des baigneurs.

Une baigneuse des Catalans était aussi intrépide que Robert : Mme Campistron. Les deux amateurs d’eau salée ne se connaissaient pas. Ils arrivaient à part, chaque après-midi, entre quatre et cinq heures ; l’un entrait par la porte Bain des hommes, et l’autre par la porte Bain des dames. Quelques minutes après, on se retrouvait au large. Sans se parler, obéissant d’instinct à cette émulation qui existe entre tous les nageurs, on lirait des coupes, on allongeait des brassées, cela à peu de distance, chacun se disant à part soi en pensant à l’autre :

— Tu ne vas pas mal, mais je vais mieux que toi.

Et allez donc ! vive le bain de mer ! et zut pour les requins !

Au bout de trois jours de ce manège, le propriétaire de l’établissement était convaincu qu’il avait affaire à deux amoureux qui n’avaient que la natation et la pleine mer pour mode et lieu de rencontre.

Or, ledit loueur de caleçons était dans la plus complète erreur.

À peine trois ou quatre fois, Robert et Pauline, nageant côte à côte, avaient échangé des phrases banales, comme celle-ci :

— Cristi ! j’ai bu un coup…

— Je vous plains ; elle est diablement salée…

Ou bien :