Comme le Cabaret de la Canne, que fréquentait Gérard de Nerval, le Cabaret du Vin bourru était une cave plus qu’une taverne : on y descendait par trois marches cagneuses et comme dans un trou.
L’orifice franchi, on se trouvait dans une salle assez vaste, basse de plafond, voûtée et lambrissée par endroits, aux murailles nues, sans plancher, de sorte que l’on buttait à chaque pas contre les aspérités de la boue durcie, qui saillait de toutes parts en croûte solide.
On eût dit une mansarde de la terre.
Pour tout ornement, des tonnes cerclées, couleur de rouille, se tenaient debout, en rang, le long des parois, comme des torses d’ivrognes obèses boudinés dans des vêtements trop étroits.
Des bancs pieds-bots, des tables calleuses et déchiquetées par des entailles, comme si des bêtes fauves y eussent aiguisé leurs griffes, se cachaient vaguement dans les plis d’ombre et semblaient ne se hasarder qu’avec précaution à travers la brume flottante.
Ce lieu louche était toujours insuffisamment éclairé. Même à midi l’on y voyait trouble.
Les araignées avaient tissé leurs toiles par une poussière couleur de terreau en travers des vitrages du soupirail, comme si les bêtes de l’ombre voulaient empêcher qu’on ne vît les hommes de l’ombre, hôtes habituels du Vin bourru.
La nuit, les réverbères ardents et les lanternes qu’emportaient rapidement les voitures, jetaient dans le cabaret des regards furtifs.
Un perpétuel ébranlement de charrois faisait gémir la chambre souterraine.
L’étranger qui se fût hasardé là, sans être au fait du jeu capricieux des lampes et des bruissements pleins de menaces qui sortaient du mur, fût demeuré un moment interdit, le regard faussé, l’oreille bourdonnante, hésitant sur le sol rugueux, serré à la gorge par l’atmosphère âcre et vireuse.
Dans la fumée épaisse des pipes noircissant la voûte et retombant sur la terre grise et dure en lourdes plaques de vapeur ; dans le vacillement de la maigre lumière incessamment déplacée, rayée par les intermittences des clartés dardées du dehors et qui faisaient brusquement jaillir des murailles un enchevêtrement d’inscriptions, un fourmillement d’écritures où le bagne eût reconnu des noms ; dans le tremblotement sonore des fûts et des brocs, le cabaret se montrant et se dérobant tour à tour, lui eût semblé vivre d’une vie de mauvais rêve.