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DE L’IMAGINATION

elle les met en contact avec une multitude de richesses et de joies qu’ils ne peuvent que désirer, qui deviendront pour eux de mauvais rêves. La plupart de nos contemporains sont dans l’état de ces paysans, après une visite aux Expositions universelles, que la médiocrité de leur condition dégoûte, qui rêvent de bayadères et d’almées, et tuent leurs vieux parents pour une nuit de jouissances. Cette montée du désir a pour corollaire la montée du suicide.

Je sortirai, quant à moi, satisfait
D’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve.

Or, pour Balzac, comme pour Shakespeare, comme pour Racine, comme pour Dante, l’action fut la sœur du rêve. Car le désir tue celui qui n’a pas d’imagination ou le rend fou ; mais de l’imaginatif il fait sortir un monde qui lui ressemble, qui a l’empreinte de son exaspération, de sa frénésie, et c’est lui le grand créateur.

Mon père. — Et par une chaîne étrange, c’est la beauté qui est la source du désir, ou si tu préfères, l’illusion de la beauté. C’est, en effet, par là que la poésie nous délivre ou nous sauve. Un trop beau spectacle, une impression trop vive, inclinent nos âmes à la mélancolie. Et, si nous ne pouvons chanter notre émotion, cette mélancolie devient une tristesse, et, par la force