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DE L’IMAGINATION

minute, les sentiments qui se greffaient sur elle, viennent ensuite, comme à l’appel du chien de berger se pressent les moutons titubants. Et les sentiments de l’adolescence ne font qu’exalter ces tableaux. Quand l’amour apparut dans le cœur ardent du glorieux, il s’adjoignit d’abord toutes les forces vives de la prime jeunesse, les triomphants réveils, les journées brûlantes de désirs encore inconscients. Comme l’amour rend tout plus beau et plus riche, il fait jaillir du souvenir une multitude de sensations aiguës et brillantes dont se nourrissent la prose ou les vers.

Une jeune fille qui chante en filant son rouet, voilà pour Gœthe l’image la plus vive de la chasteté et de la grâce. Elle revient maintes fois dans son œuvre. Que Claire attende Egmont, que Marguerite attende Faust, le ronronnement du rouet berce cette attente amoureuse. Je me suis toujours figuré que Gœthe enfant avait eu ce spectacle. Si, dans les œuvres des plus grands poètes, on faisait la part des premières années, au point de vue de l’imagination, cette part, j’en suis sûr, étonnerait. Elle étonnerait parce qu’on oublie toute la vivacité des sensations premières. Mais bien qu’engourdies elles demeurent vivantes chez les hommes les plus ordinaires, et quelquefois elles viennent à l’improviste égayer ou attrister l’âge mûr par leurs visages aux lignes imprécises.