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DE L’IMAGINATION

fille assis sur une terrasse au crépuscule, un paysan dans la plaine, tous ces êtres, courbés par la monotonie de l’existence, sont les images intérieures que nous feuilletons dans nos rêveries. À notre insu nous créons sur eux, autour d’eux, de petites histoires. Nous forgeons des circonstances. Et je crois bien que des artistes ne sauraient être trop riches en visions de ce genre. Elles les guident vers la vérité, l’inclinaison de la lumière, l’expression des figures, les attitudes caractéristiques, le geste calme et les regards ; et c’est l’assemblage de ces éléments qui réalisera la beauté. Pour ma part, je n’ai jamais cessé de nourrir mon imagination de ces spectacles. Beaucoup sont demeurés si vifs dans ma mémoire que je ne sais plus s’ils appartiennent à l’art ou à la vie.

Moi. — La peinture hollandaise me fait songer à un des phénomènes les plus singuliers de l’histoire de l’art et, par conséquent, de l’imagination. Il est des époques où les esprits s’exaltent pour la peinture, comme au XVIIe siècle en Hollande, pour l’art dramatique, comme au XVIe siècle en Angleterre, comme en Espagne, comme au XVIIe siècle en France. On assiste soudainement à une éclosion simultanée de génies fort dissemblables, mais tous abondants, tous marqués par l’amour de la vie et de ses formes, tous observateurs de