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DE L’IMAGINATION

des bornes. Elle lui fait croire qu’elle-même est prisonnière de formules, embarrassée de lois, et qu’il lui est impossible de se soustraire au régime despotique que subiraient les choses, les êtres et les pensées.

Fléau de l’imagination et plus grand qu’on ne le suppose, car il la limite perpétuellement ; non seulement il la désole, mais encore il la restreint. La mélancolie des vieux sages n’avait sans doute pas d’autres causes, et le sentiment de la fatalité, qui leur est venu des sciences exactes, apparaîtra bientôt, aux races d’Occident, aussi redoutable que l’opium.

Comme l’opium, le déterminisme a eu sa phase d’exaltation, bientôt suivie d’une phase dépressive qui mène à la mélancolie, aux idées noires et au suicide. Et le pessimisme contemporain était fils du positivisme. Aux beaux temps de cette sombre doctrine, l’audace des savants fut extrême. Ils prétendirent tout contrôler, tout régenter, tout, jusqu’aux aux opérations les plus secrètes, les plus mystérieuses du cerveau humain. Cela coïncidait justement avec certaines recherches sur ce cerveau, certaines incursions physiologiques hâtives et hasardeuses, ce qu’on appela plus tard les localisations. De cette physiologie dont les médecins se croyaient maîtres, avec quel orgueil, quelle jactance, sortit toute une philosophie