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VIE ET LITTÉRATURE

naud de l’Ariège, et un manuscrit de mon père, les similitudes sont évidentes.

Il raturait courageusement et fréquemment. Un premier brouillon, du premier jet, servait en quelque sorte de canevas. Ma mère et lui reprenaient ce « monstre », apportant le souci du style, conciliant l’harmonie et le besoin de réalité qui toujours poursuivit l’écrivain : « Sans ma femme, je me serais abandonné à ma facilité. La perfection ne me tourmenta que plus tard. » Après cette lente et dure épreuve venait une troisième et définitive copie. Ceux que leur imagination enflamme comprendront le singulier mérite de sacrifier la verve à la justesse et de proportionner l’enthousiasme. Dans l’esprit de mon père, le mot était évocateur. Alors que chez un formaliste, comme Baudelaire par exemple, il bride ses conséquences lyriques, limite au lieu de susciter, chez Alphonse Daudet il éveillait un monde de sensations et de formes. Or, celui que le « verbe » grise ignore la joie de l’achèvement. Mon père, génie latin, possédait la mesure et respectait les proportions.

Sans entrer dans le domaine de la critique, qui messiérait à mon rôle actuel, il m’est permis de marquer l’évolution continue de ce tempérament si viril et si clair. Les premières œuvres, ardentes, surabondantes, témoignent d’un moindre souci