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LE HÉROS ET SON CONTRAIRE.

que le risque se donne carrière, et sépare les vertus non héritées des vertus et facilités congénitales. Le risque que courut Mistral, peut-être le plus redoutable de tous, fut celui de l’incompréhension. Il obtint la gloire malgré lui, puisqu’il écrivit dans une langue fermée à beaucoup de ses compatriotes. Il élevait ainsi, entre eux et lui, un obstacle surajouté à celui de la haute poésie et de cette grandeur, que beaucoup d’êtres vils ou niais considèrent comme une offense personnelle. C’était son risque. Ce triomphe est un des plus surprenants de l’histoire psycholittéraire. C’est que le soi est, nous l’avons vu, directement communicable, même aux plus simples. Au lieu que le moi ne les atteint que par des intermédiaires, adaptateurs, explicateurs, commentateurs. Le soi perce comme une épée. Le moi ne se transmet que par une série d’ébranlements et de déformations, de réfractions successives. C’est un bâton plongé dans les eaux jointes de l’espace et du temps.

Le moyen par lequel Mistral se libéra de ses ancêtres fut à la fois très puissant et très original. Ce grand traditionnel écrivit le Trésor du Félibrige, ou dictionnaire franco--