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L’HÉRÉDO

déroute intellectuelle au faciès de patriarche sage que nous offrent ses photographies, aux pages pleines et pondérées de ses meilleurs romans, à cet admirable conte de Maître et Serviteur, et déplorons ensemble qu’un pareil homme n’ait pas héroïquement dompté son moi.

C’est que, transformé en automate, sous une influence qu’il faudrait rechercher — car combien il apparaît malléable, ce faux inflexible ! — il se mit à adorer sa transformation. Il se crut même d’autant plus libre qu’il était plus captif de son ascendance. Il s’enivra de ses chaînes. Il devint un maniaque du cas de conscience, invariablement résolu dans un sens absurde. La Sonate à Kreutzer n’est qu’un tissu d’erreurs sauvages, où l’on voit le désir tolstoïen donner des formes à la misogynie, peupler ce beau cerveau de spectres douloureux, empêcher que l’emporte, en fin de compte, un soi valeureux, qui palpite et gémit sous l’attaque congénitale. Malheureux grand écrivain, perdu dès ici-bas dans les limbes, tâtonnant et trébuchant au milieu des pièges hérités de la pitié et de l’amour, esclave de conclusions enfantines ! Il avait été ques-