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L’HEREDO.

un moi formé d’une multitude de personnages olfactifs, auditifs, tactiles, visuels, mal reliés par un enfant plaintif et craintif. Sa susceptibilité morale n’était pas moins vive, papillotante et morcelée. Elle fatiguait ses meilleurs amis. Génie incomplet et languissant, dépourvu de la maîtrise du soi, se croyant incapable de la conquérir, il espérait se délivrer de cette obsession du moi par des volumes et des volumes, souvent très beaux, toujours curieux, et il n’y parvenait pas. Le besoin de déplacement traduisait chez lui le besoin de se fuir, l’espérance qu’à un tournant de route ou de cap il dépouillerait sa nostalgie. Vain espoir ! Il ne se libérera jamais de ses fantômes, de leurs chuchotements et de leurs querelles, celui qui n’a pas compris la nécessité de la hiérarchie intérieure, de la subordination de ses facultés à une œuvre lui appartenant en propre et qui ait le son d’un acte de foi. À ce point de vue, les écrivains sont particulièrement intéressants pour l’observateur, puisqu’ils se confessent continuellement, et même sans le savoir, dans leurs livres. Ceux d’Errant, sortes de poèmes en prose, d’un chatoiement douloureux et déli-