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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

sombre, qui creva sur la tête du directeur de la Justice, à l’occasion de l’affaire de Panama.

Il apparaît bien que ce scandale, monté avec habileté, et que lança, sans documents, mais avec une grande force de persuasion, du haut de la tribune de la Chambre, l’honnête homme, d’une intégrité absolue, qu’était Jules Delahaye, avait, lui aussi, son origine dans la volonté de l’Allemagne envieuse de faire échouer la seconde œuvre nationale due à Ferdinand de Lesseps. L’Allemagne savait que des sommes importantes avaient été remises à des parlementaires français et à des directeurs de journaux pour faciliter à la fois l’émission de bons à lots par un vote dépendant de la majorité, et la publicité en grand de l’affaire. Elle le savait par la Sûreté Générale (directeur à l’époque un certain Soinoury) et celle-ci avait, d’autre part, communiqué ses renseignements à l’homme malicieux et subtil qu’était l’ancien Préfet de Police Andrieux. Ce fut Andrieux qui, restant dans la coulisse, passa les premiers éléments du dossier à Delahaye. Delahaye, catholique ardent, ne voyait alors, dans Clemenceau, que le chef de l’anticléricalisme radical. Comme nous l’examinerons ultérieurement, ce fut lui qui, revenu de son erreur, se fit vingt-cinq ans plus tard, à la Chambre comme au Sénat, — par son frère Dominique Delahaye, — le plus ardent champion de l’attribution de la Présidence du Conseil à Clemenceau.

L’habileté de 1892 fut de lancer, contre le leader radical, les patriotes de la Revanche, tels que Déroulède et Barrès, dont la thèse fondamentale était exactement la même que celle de l’homme qu’ils attaquaient ! Il y a des moments où l’Histoire rit, et ce rire, tantôt discret, tantôt à