Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

ne réagit pas en faveur de son chef comme on aurait pu le supposer ; et Lockroy se fit remarquer par la complaisance avec laquelle il colportait les accusations de Déroulède. Sa fourberie fut mal jugée de ses collègues et lui fut reprochée dans l’intimité par Paul Ménard et par Périn. Quant à Clemenceau, dédaigneux des intrigues et des rumeurs, il n’y comprit exactement rien. Il se moquait de longue date des histoires que l’on colportait sur son compte ; il se fichait en face et copieusement des parlementaires de son parti. N’ayant que du mépris général et individuel, il ne croyait pas à la haine, et des avertissements qui lui parvenaient, quant à une conjuration tramée contre lui et son influence redoutée, il ne tenait aucun compte. Son état d’esprit était le « on n’oserait » du balafré.

Il avait été très étonné de rater à quelques pas Déroulède et on l’avait entendu murmurer, en regardant son pistolet : « C’t’épatant. » Il considérait le président de la Ligue des Patriotes comme un zozo. C’est vers cette époque que, criblé de dettes, il résolut de mettre en vente quelques menus bibelots japonais, dont Edmond de Goncourt lui avait conseillé l’achat. Cela lui faisait gros cœur et à son effervescente amie Mme Aline Ménard-Dorian, qui était venue lui rendre visite, il répétait : « On s’attache à ces petites machines-là » Son entourage immédiat, ses deux frères, sa sœur, étaient indignés d’une injustice sans pareille. Ses adversaires politiques se frottaient les mains. Rarement avait été élevé si haut l’art de taire quelque chose avec rien.

Sentant le vide de leur dossier et comprenant qu’il ne tarderait pas à apparaître, les adversaires de Clemenceau résolurent de corser ce néant à l’aide de faux. La police politique, avec sa grossiè-