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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/13

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

plissait sous sa chevelure précocement argentée. Clemenceau, avec ses boutades, l’étonnait plus qu’il ne le séduisait. Alors que Targé l’amusait et retenait l’acquiescement de son visage, tel que d’un « Bas de cuir », muet et approbatif.

Lockroy était fluet, avec des yeux globuleux, une tête fine, pincée aux commissures des lèvres et qui, sans se lasser, feignait l’assentiment : « Mais oui, cher ami, mais comment donc. je suis cent fois de votre avis. » Il pouffait à la dérobée et faisait tourner, autour d’un ruban de ganse noire, son lorgnon. Évasif, il promettait toujours et tenait rarement, ou ne tenait jamais, Mais comment lui en vouloir quand, fermant une avenue de promesses, il en ouvrait une autre, de sens inverse. Jamais ne lui entendait-on dire « non ». Enfant de la balle, fils du vieux et probe comédien Lockroy, il avait le sens de l’ironie. Gare à qui se mettait en travers de son chemin !

Allain Targé, à masque de Silène barbu, et remontant sans cesse son pantalon privé de bretelles, avait appartenu, avec un cœur radical, au milieu opportuniste et occupé le ministère de l’Intérieur, Ennemi des fonds secrets, qu’il appelait pretium stupri, il accusait, de tous les maux du régime naissant, la police politique, à laquelle il avait commandé et ne reconnaissait, comme Satan secret, qu’Arthur Ranc. Quand sa crise de rire prenait Targé, il plissait les yeux, griffait sa barbe avec fureur et sautait en l’air vivement. Challemel-Lacour, s’écartant de lui, le considérait alors avec dégoût. Ces manières démocratiques l’écœuraient. Comme on passait les douceurs, l’orangeade et la boisson aux cerises, Targé saisit un verre, puis deux, puis trois, les avala gloutonnement et s’écria : « Fameux, fameux ! »