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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Voilà qui est rigolo et qui m’intéresse, parce que je dois jaspiner au banquet. Daudet et Geffroy me l’ont demandé et je ne puis m’y soustraire,

— Spa, essepa, il a commencé, avec son frère, par la duchesse de Châteauroux et Marie-Antoinette, et il a continué par Germinie Lacerteux. C’est un monsieur, comme disait Flaubert.

— À coup sûr. Mais je ne sais rien, ou presque rien sur lui. Est-ce qu’il a couché avec des femmes ?

— Ça n’a pas un très grand intérêt, spa, essepa. On sait seulement qu’il à hébergé, à un moment, la maîtresse de son frère Jules.

— Daudet ne dit rien, à ce sujet ?

— Il ne dit rien, parce qu’il ne sait rien. Goncourt, spa, est-ce pas, est très boutonné là-dessus. Cette rosse de Burty a prétendu qu’il se tirait la queue devant des estampes japonaises.

Clemenceau éclata de rire :

— C’est invraisemblable ! Les gens de lettres inventent n’importe quoi. J’ai été chez Goncourt, j’ai vu ses collections admirables. Il n’est que trop sûr qu’il soit entièrement réactionnaire. Son cri est : « À bas le progrès ! » Pourtant il aime en art, ce qui va de l’avant. Il aime, Carrière, votre peinture. Il ne paraît pas très admirateur de Manet, ni de Monet. Que pensez-vous, en toute franchise, de sa valeur critique ?

Carrière, ayant fait sa palette, écrasant ses couleurs avec le pouce, était perplexe. Il ne voulait pas débiner Goncourt, il ne voulait pas le louer outre mesure. Il avait beaucoup de considération pour Clemenceau, « le prince des types épatants », et pour Geffroy, son apologiste, le premier qui l’avait complètement compris. Il résuma ainsi son point de vue :